Bernard Blier : Beau-père (1980)

Patrick Dewaere (1947 - 1982) a joué le rôle de l’homme encore enfant, un peu perdu, un peu déprimé, à perfection. Dans son dernier film, Paradis pour tous, il a joué le rôle d’un suicide manqué. Plusieurs mois après il s’est suicidé. Quel gâchis !

Le film commence avec le générique et puis un travelling dans un restaurant de style «cossu international », suivi d’une série de plans et de travellings sur Rémi (Patrick Dewaere), qui joue au piano et nous parle :

C’était l’époque où je travaillais comme pianiste, dans un restaurant de style cossu international, au premier étage d’un hôtel en forme de tour avec vue imprenable sur la capitale. Cela aurait pu tout aussi bien se passer à Montréal, à Zurich ou ailleurs.  Il y aurait eu la même proportion d’Américains, de Japonais, de Saoudiens, les mêmes créatures aux yeux fatigués d’avoir trop compté des dollars. Je pouvais leur jouer n’importe quoi : Gershwin, Chopin, Art Tatum. De toute façon ils n’écoutaient pas. Tout ce qu’on me demandait, c’était qu’il serait le moins de bruit possible, juste un peu d’ambiance, quelque chose de ouaté, comme un velours, pour accompagner leur St. Emilion, leurs shrimp cocktails, leurs T-Bone steaks.

Alors je jouais pour moi tout seul des vieux airs de Bud Powell dont j’essayais de retrouver le phrasé, sans jamais y parvenir, car je ne parvenais jamais à rien. Je m’étais fixé jusqu’à trente ans pour réussir quelque chose dans la vie, et j’avais vingt-neuf ans et demi. Il ne me reste plus que 6 mois.

En attendant, on me refilait 250 balles par soirée, plus la bouffe et la boisson à volonté. J’étais content. Le seul problème, c’était que je venais juste de me faire engager, et les salauds, ils ne voulaient pas me parler de la moindre avance, même le minimum. Autant vous dire que j’attendais avec impatience la fin de la semaine pour toucher mon pognon et la fin de la soirée pour aller me coucher. Vers minuit, les tables commençaient à se dégarnir. En général je me retrouvais en tête-à-tête avec un couple amoureux, les retardetaires de l’affection, que j’avais pour mission de mener à bon port avec mon clavier magique.

Allez donc savoir ce qui se passe dans la tête d’un pianiste maniant ses touches pendant que vous sirotez votre champagne, si ça se trouve lui aussi il est amoureux… ou triste, parce que sa femme l’attend ou parce que sa femme ne l’attend plus, parce qu’elle vient de le quitter ou parce qu’elle va le quitter.