Alain Renais : Stavisky

Le scénario du film Stavisky est très intelligent dans son dialogue, son traitement d’histoire et sa façon d’utiliser les références et citations littéraires. Ce film raconte les derniers mois de l’escroc Stavisky et l’exile en France de Leon Trotski. Ces deux histoires ont deux liaisons historiques, le fait coïncident que l’inspecteur responsable pour la surveillance de Trotski a eu un rôle mineur dans l’affaire Stavisky et la thèse toute croyable que le scandale Stavisky a entraîné l’expulsion de Trotski. Le film crée une troisième liaison dans le personnage fictif de l’actrice allemande et juive, Erna Wolfgang.

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Nous voyons les auditions de deux actrices, Edith Boreal, qui joue, avec le Baron, une scène de Je t’aime, de Sacha Guitry , et Erna Wolfgang, qui joue, avec Alexandre, une scène d’Intermezzo, de Giroudoux ...

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Maintenant, c’est le tour d’Erna Wolfgang, et il vaut bien citer sa façon de se présenter : «Je chante, je danse, je joue  la comédie. Je peux aussi faire du trapèze volant, ou traverser la salle sur un fil de fer. Mais j’ai de l’accent, vous l’entendez ! Je suis Juive. J’arrive d’Allemagne. Depuis que les Nazis ont pris le pouvoir au début de cette année, il est difficile pour nous de vivre en Allemagne. Remarquez : il n’a jamais été très facile pour nous de vivre où que ce soit. La dernière pièce que j’ai jouée en Allemagne s’appelait Die Massnahme  mais le théâtre a été fermé par la police. J’avais préparé un monologue, mais après avoir vu monsieur… Vous voulez bien me donner la réplique ? Si cela ne vous paraît insultant pour le génie de la France, je voudrais jouer une scène d’Intermezzo de Giraudoux. Mais j’ai besoin d’un spectre ! »   On voit toute suite qu’Erna Wolfgang va contribuer des perspectives important sur le politique et sur la vie. Giraudoux se serait bien amusé par la plaisanterie sur le génie de la France, qui va bien avec le ton de sa pièce.

Alexandre tout de suite demande au baron de lui céder la place : «Un rôle de Spectre peut me convenir ».  Cette scène entre Isabelle et le Spectre est très importante dans le film. Elle est coupée au milieu par le premier court scène de l’enquête sur l’affaire Stavisky, ce qui garde la dialogue d’Isabelle sur la mort pour la fin du film.  Ce qui reste touche sur le thème de bonheur, surtout si on connaît le contexte de cette scène dans la pièce, et sur celui de race. Alexandre et Wolfgang développeront ces deux thèmes après la scène, en sortant du théâtre.

Après être positionné par Wolfgang, qui demande la tombé de la nuit, Alexandre commence avec une voix normale : « Non… tous les morts sont extraordinairement habiles. »  La nuit tombe, et il recommence avec une voix qui résonne : « Non. Tous les morts sont extraordinairement habiles... Ils ne butent jamais contre le vide. Ils ne s’accrochent jamais à l’ombre. Ils ne se prennent jamais leur pied dans le néant. Et leur visage, rien jamais ne l’éclaire… » Dans le contexte de la pièce, Isabelle voulait que les morts soit heureux, qu’ils sourient. Après la scène de l’enquête, elle continue : «…qui leur fasse aimer leur état et comprendre qu’ils sont mortels » Alexandre/Spectre : «Ils ne le sont pas. » Wolfgang/Isabelle : «Comment cela ? » Alexandre/Spectre : «Eux aussi, ils meurent. » Wolfgang/ Isabelle : « C’est curieux, comme toutes les races se connaissent mal ! La race des Indiens se croit rouges, la race des nègres se croit blanche, la race des morts se croit mortelle. »

La prochaine scène, où Alexandre et Erna Wolfgang sortent du théâtre, peux se diviser en deux parties : celle au sujet de ce que cela veux dire d’être juif et celle au sujet du  bonheur vis-à-vis du plaisir. Alexandre demande pourquoi elle crie sur les toits qu’elle est juive et trouve sa première réponse (parce que c’est vrai) trop simple. Elle continue : «Vous voulez une réponse plus intelligente, plus ‘théâtre’ ? Parce que le matin, si je regarde les arbres, la rosée, le bleu du rêve, je sais que je suis juive. Parce que je déteste les races qui se connaissent mal. Je déteste la race des Juifs qui se croie heureux, égaux en droits, oublié des désastres. » Cette position fait grand contraste avec la nonchalance d’Alexandre quand le Baron a lu l’article de Joseph Kessel. Alexandre raconte ce que lui a dit son père quand il était étudiant : «Il ne faut pas te faire remarquer, Sacha ! Ne sois pas le premier de la classe, tu ferais les jaloux ! Ne sois pas le dernier non plus, on te méprisera. Une honnête moyenne, fais-toi oublier Sacha ! » Erna Wolfgang fait le point qu’on «ne nous oublie pas » . Mais contraire à ce qu’il dit, Alexandre veut toujours occuper le devant de la scène, et sa chute aggravera les sentiments anti-sémites en France. Comme dira Borelli après les faux bonds sont découverts : «Nous te laisserons tous tomber, Alex ! Nous ne te connaîtrons plus, nous t’aurons vu par hasard dans un restaurant. Nous ne savions pas qui tu étais ! Tu sais ce que nous allons dire ? Nous allons dire que dans le fond ce n’est pas étonnant : on ne se méfie jamais assez des métèques, des apatrides, des juifs ! »

Le dialogue d’Alexandre et Erna Wolfgang sur le bonheur est exquis et relève un autre inconséquent entre la perspective et les actions d’Alexandre. Il commence : « … J’aimerais tellement que vous soyez heureuse. (Il sort sa montre et regarde l’heure.) Trente seconds pour arriver jusqu’à la rue, trente seconds pour vous offrir le bonheur, hein, c’est court. Parlons même pas du plaisir, pour le plaisir il faut toute une vie. » Wolfgang : « Je croyais que c’était le contraire. » Alexandre : « Oh ! On dit n’importe quoi sur ce sujet. Mais le bonheur, c’est l’instant même : Un reflet de soleil sur de l’eau. Dans le meilleur des cas, une longe suite d’instants. Le plaisir, par contre, demande de la réflexion. Il faut du temps des loisirs, de l’invention. C’est une affaire de riches, le plaisir ! » Elle lui demande : « Vous êtes quoi ici ? » Alexandre : « Tout. Tout est à moi. C’est mon empire ! Je peux vous offrir Paris. » Elle voit tout de suite le changement de perspective : «Merci. Je n’y tiens pas. » Elle sort du théâtre et puis se tourne : «J’aime bien le bonheur. »  Elle quitte Alexandre, qui devient pensif.

Pour ceux qui veut lire la fin du film.
 

N.B. On lit ici les extraits d’un article que j’ai écrit au printemps, 2001. Les citations du film sont tires de «l’Avant-scène» No 156, mars 1975, l’«Alain Renais, Stavisky… ». J’ai omis pour la plupart les renseignements de scène sans l’usage des trois points (…).
 

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