Edith Piaf : Le vieux piano

Un piano est mort et celle-là l’aimait.
Quand elle était jeune et quand elle venait
Se saouler le dedans de pathétique en se frottant au piano nostalgique.

Qu’il était beau le piano, bon piano, vieux piano des copains
À l’époque des copains, chez Bianco l’Argentin,
Vers trois heures du matin, quand elle buvait son demi d’oubli.
Et seule maintenant, elle pense au vivant de ce vieux piano mort.
Elle boit. Elle entends les messes de saint vingt ans, tomber d’un accord.
Au bar quand elle boit, c’est vrai qu’elle revoit
Des mains sur l’ivoire blanc, les mains de Bianco,
Des mains qui lui font cadeau d’un peu de vieux temps.
Mais dans son gin un fantôme en bleu jeans,
Un deuxième et puis vingt, qui disputent en copains
D’un bistro démodé, d’un piano démodé,
Elle a crié «Moi, je sais, je sais ».

Elle va raconter l’histoire enfermée dans le vieux piano mort,
Et c’est l’aventure qui bat le mesure de plus en plus fort.
Au clair de la vie, les mains des amis, les yeux des lendemains.
La vie devant nous, l’amour et puis tout, et tout et plus rien.
Ils sont tous morts, au milieu d’un accord.
Ils sont morts dans Ravel, dans un drôle d’arc-en-ciel.
Un soldat est entré, un soldat est entré.

Un piano est mort et celle-là l’aimait.
Quand elle était jeune et quand elle venait
Se saouler le dedans de pathétique en se frottant au piano nostalgique.