Je m'en allais, les poings dans mes poches
crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais
ton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides
j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais
dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à
la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux
frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des
routes,
Ces bons soirs de septembre où je
sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme
un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied [contre]*
mon cœur !
* Variation: près de
Arthur Rimbaud (1854
- 1891)
Roman
I
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept
ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants
!
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les Tilleuls sentent bon dans les bons soirs
de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la
paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville
n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de
bière...
II
- Voilà qu'on aperçoit un tout
petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite
branche,
Piqué d'une mauvaise étoile,
qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse
griser.
La sève est du champagne et vous monte
à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres
un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
III
Le cœur fou Robinsonne à travers les
romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle
réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son
père...
Et, comme elle vous trouve immensément
naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement
vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les
cavatines...
IV
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au
mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La
font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes
mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné
vous écrire... !
- Ce soir là,... - vous rentrez aux
cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a
dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
Arthur Rimbaud (1854
- 1891)
Les chercheuses de poux
Quand le front de l'enfant, plein de rouges
tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes
sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.
Elles assoient l'enfant [devant]* une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne
un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe
la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles
et charmeurs.
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux
et rosés,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs
de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les
silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques
et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits
poux.
Voilà que monte en lui le vin de la
Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer
;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir
de pleurer.
* Variation: auprès d'
Arthur Rimbaud (1854
- 1891)
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu:
voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes
:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et
des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons
d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des
lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes
;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semées d'animaux,
paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts
studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs
étranges,
Silences traversés des Mondes et des
Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux
!