Souvent sur la montagne, à l'ombre
du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds
;
Je promène au hasard mes regards sur
la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule
à mes pieds.
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes
;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain
obscur ;
Là le lac immobile étend ses
eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève
dans l'azur.
Au sommet de ces monts couronnés de
bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier
rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les
bords de l'horizon.
Cependant, s'élançant de la
flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les
airs :
Le voyageur s'arrête, et la cloche
rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de
saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme
indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni
transports ;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre
errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus
les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au
couchant,
Je parcours tous les points de l'immense
étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur
ne m'attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est
envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes
si chères,
Un seul être vous manque, et tout est
dépeuplé !
.....
Alphonse de LaMartine
(1790 - 1869)
Ode sur les révolutions
(extraits)
Enfants de six mille ans qu'un peu de bruit
étonne
Ne vous troublez donc pas d'un mot nouveau
qui tonne,
D'un empire éboulé, d'un siècle
qui s'en va !
Que vous font les débris qui jonchent
la carrière ?
Regardez en avant, et non pas en arrière
:
Le courant roule à Jéhovah
!
Alphonse de LaMartine
(1790 - 1869)
Le lac (extraits)
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux
rivages,
Dans la nuit éternelle emportés
sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan
des âges
Jeter l'ancre un seul
jour ?
Oh lac ! l'année à peine a fini
sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle
devait revoir,
Regarde ! Je viens seul m'asseoir sur cette
pierre
Où tu la vis s'asseoir
! .....
Un soir t'en souvient-il ? nous voguions en
silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous
les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en
cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à
la terre
Du rivage charmé frappèrent
les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est
chère
Laissa tomber ces mots
:
« O temps, suspends ton vol ! et vous,
heures propices,
Suspendez votre cours
!
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos
jours !
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent
:
Coulez, coulez pour eux
;
Prenez avec leurs jours les soins qui les
dévorent ;
Oubliez les heureux.
« Mais je demande en vain quelques moments
encore,
Le temps m'échappe
et fuit ;
Je dis à cette nuit : ‘Sois plus lente’
; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
« Aimons donc, aimons donc ! de l'heure
fugitive,
Hâtons-nous, jouissons
!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point
de rive ;
Il coule, et nous passons
! » .....
O lac ! rochers muets ! grottes ! forêt
obscure !
Vous que le temps s'épargne ou qu'il
peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
.....
Que le vent qui gémit, le roseau qui
soupire,
Que les parfums légers de ton air
embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on
respire,
Tout dise : « Ils
ont aimé ! »