Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d'un beau
jour,
Au pied de l'échafaud j'essaye encor
ma lyre.
Peut-être est-ce
bientôt mon tour.
Peut-être avant que l'heure en cercle
promenée
Ait posé sur l'émail
brillant,
Dans les soixante pas où sa route
est bornée,
Son pied sonore et vigilant,
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière.
Avant que de ses deux
moitiés
Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces
murs effrayés
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes
soldats,
[Remplira]* de mon nom ces longs corridors
sombres, Ébranlant
Où seul dans la
foule à grands pas
J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs
du crime,
Du juste trop faibles
soutiens,
Sur mes lèvres soudain va suspendre
la rime ;
Et chargeant mes bras
de liens,
Me traîner amassant en foule à
mon passage
Mes tristes compagnons
reclus,
Qui me connaissaient tous avant l'affreux
message,
Mais qui ne me connaissent
plus.
Eh bien ! j’ai trop vécu. Quelle franchise
auguste,
De mâle constance
et d'honneur
Quels exemples sacrés, doux à
âme du juste,
Pour lui quelle ombre
de bonheur,
Quelle Thémis terrible aux têtes
criminelles,
Quels pleurs d'une noble
pitié,
Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,
Quels beaux échanges
d'amitié,
Font digne de regrets l'habitacle des hommes
?
La peur fugitive est leur
Dieu ;
La bassesse ; la feinte. Ah ! lâches
que nous sommes
Tous, oui, tous. Adieu
terre, adieu.
...
* La variation en GP : Ébranlant