Jean Racine (1639 - 1699)
Phèdre - Acte 1er - Scène 3

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d'Égée
Sous les lois de l'hymen je m'étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feus redoutable,
D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui battis un temple et pris soin de l'orner,
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D'un incurable amour remèdes impuissants !
 
 
 
 

Jean Racine (1639 - 1699)
Plainte d'un Chrétien, sur les contrariétés
qu'il éprouve au dedans de lui-même.

Mon dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L'un veut que plein d'amour pour toi
Mon cœur te soit toujours fidèle.
L'autre à tes volontés rebelle
Me révolte contre ta loi.

L'un tout esprit, et tout céleste,
Veux qu'au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste ;
Et l'autre par son poids funeste
Me tient vers la Terre panché.

Hélas ! en guerre avec moi-même
Où pourrais-je trouver la paix ?
Je veux, et n'accomplis jamais.
Je veux. Mais ô misère extrême !
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

O Grace, ô rayon salutaire,
Viens me mettre avec moi d'accord ;
Et domptant par un doux effort
Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.