Mathurin Régnier (1573 - 1613)
Stances - Extraits

Quand sur moy je jette les yeux,
À trente ans me voyant tout vieux,
Mon cœur de frayeur diminue :
Estant vieilli dans un moment,
Je ne puis dire seulement
Que ma jeunesse est devenue.

Du berceau courant au cercueil,
Le jour se dérobe à mon œil,
Mes sens troublez s'évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs,
Qui naissent et vivent en pleurs,
Et d'heure en heure se fanissent.

Leur âge à l'instant écoulé,
Comme un trait qui s'est envolé
Ne laisse après soy nulle marque ;
Et leur nom si fameux icy,
Si-tost qu'ils sont morts, meurt aussi,
Du pauvre autant que du Monarque.

N'agueres, verd, sain et puissant,
Comme un aubespin florissant,
Mon printemps estoit délectable.
Les plaisirs logeoient en mon sein ;
Et lors estoit tout mon dessein
Du jeu d'Amour et de la table.

Mais, las ! mon sort est bien tourné ;
Mon age en un rien s'est borné,
Foible languit mon esperance :
En une nuit, à mon malheur,
De la joye et de la douleur
J'ay bien appris la difference !

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