ODE VI

Tirée du Psaume XIX: Exaudiat te Dominus in die tribulationis; protegat te nomen Die Jacob.

 ARGUMENT

Tous les interprètes ne conviennent pas du sens littéral de ce psaume. Les uns croient qu'il regarde quelque expédition de David; d'autres l'entendent du roi Ezechias attaqué par Sennacherib. Quoi qu'il en soit, c'est une formule de prière, où, en faisant des voeux pour son roi, on lui donne des leçons d'équité, de morale et de religion. Quand le Souverain veut la guerre, c'est aux sujets de combattre et de prier. Mais si la guerre est injuste, que le souverain tremble en invoquant les bénédictions du ciel.
Qu'au jour où malgré vous l'étendart de la guerre,
Dans vos mains déployé, menacera la terre,
Le Seigneur vous exauce en ces tristes combats.
Que du Dieu de Jacob les flèches alumées
          Protègent vos armées,
          Et devancent leurs pas.

Que du plus haut des cieux dans vos camps il descende;
Parmi vos bataillons qu'il ranime ou répande
Ce zèle et cet amour, qui des rois sont l'appui;
Et que pour dissiper des ligues meurtrières,
          Vos dons et vos prières
          S'élèvent jusqu'à lui.

Si vos desseins sont droits, que Dieu les accomplisse;
Si vous prenez le fer pour venger la justice,
Qu'un plein succès réponde aux voeux de votre coeur.
Vos peuples chanteront votre heureuse victoire,
         Et n'en devront la gloire
         Qu'au nom seul du Seigneur.

Rétablissez l'éclat de votre diadème:
Nous connaîtrons alors qe le Seigneur vous aime,
Et qu'il soutient son Christ dans ses nobles travaux.
A vos justes besoins vous le verrez sensible,
         Et sa droite invincible
         Frappera vos rivaux.

Leurs chars et leurs coursiers ont enflé leur courage.
Ils fondent leur espoir sur ce vaste assemblage
De peuples aguerris qu'enfantent leurs états.
Pour nous le Tout-puissant fait seul notre espérance;
         Il donne la vaillance,
         Ou l'ôte à nos soldats.

Ils tombent, ces vainqueurs dont nous étions esclaves,
Ils tombent enchaînés d'invisibles entraves;
Nos guerriers qui fuyaient, ne craignent plus leurs coups.
Seigneur, sauvez le roi; son salut est le nôtre,
         Et sa cause est la vôtre
         Quand il combat pour vous.


ODE VII

Tirée du Psaume L: Miserere mei, Deus.

     ARGUMENT

Il n'est guère possible d'attribuer ce psaume à d'autre qu'à David. L'adultère de ce prince, son châtiment et son repentir y sont clairement désignés. On ne peut se méprendre sur l'auteur ni sur le sujet. Aussi l'Eglise en a-t-elle fait un cantique de pénitence pour les pécheurs. Le style en est simple; on n'y trouve point la  pompe et la magnificence ordinaire des cantiques divins. C'est l'expression naïve du sentiment; c'est le langage d'un coeur humilié, contrit, mais qui dans l'abattement et dans la douleur conserve toujours une entière confiance en Dieu. La
plupart des Psaumes sont des odes; celui-ci n'est qu'une élégie.


     Grâce au pécheur qui vous implore,
     Grâce, ô mon Dieu; j'espère encore
     En vos ineffables bontés.
     Fermez les yeux sur mes offenses,
     Et du livre de vos vengeances
     Effacez mes iniquités.

     Effacez-en toutes les traces;
     Dans le torrent pur de vos grâces
     Lavez les taches de mon coeur.
     Ah! je connais trop bien mon crime;
     Partout il me suit, il m'opprime,
     Et lui-même il est son vengeur.

     C'est vous, c'est vous seul que j'outrage;
     Mon existence est votre ouvrage,
     Et je la souillai devant vous.
     Quel emploi honteux de ma vie!
     Tout m'accuse, et tout justifie
     L'extrême rigueur de vos coups.

     Pour remplir un décret sévère,
     Dans les entrailles de ma mère
     Le péché m'imprima ses traits.
     Mais vous voulez que je sois juste,
     Et de votre sagesse auguste
     Vous m'avez ouvert les secrets.

     Répandez donc votre eau sacrée;
     Mon âme ainsi régénérée
     De la neige aura la blancheur.
     Je tressaillerai d'allégresse,
     Et revenu de sa faiblesse
     Mon corps reprendra sa fraîcheur.

     Mon Dieu, que mes fautes passées,
     Par votre clémence effacées,
     S'anéantissent dans l'oubli.
     Créez en moi, maître adorable,
     Un coeur pur, droit, inaltérable
     Dans la foi qui l'a rétabli.

     Ne vous cachez plus à mon âme;
     Que votre Esprit Saint qui l'enflamme,
     Désormais l'éclaire en tout lieu.
     Rendez-moi ce bonheur paisible,
     Ce caractère incorruptible,
     Attribut des amis de Dieu.

     J'appellerai dans votre voie
     Les méchants, les mortels en proie
     Aux horreurs de l'impiété.
     Délivrez-moi du sang qui crie,
     Et mon âme à jamais guérie
     Exaltera votre équité.

     Seigneur, vous ouvrirez ma bouche.
     Rien ne me flatte, ne me touche
     Que votre culte et votre loi.
     J'aurais offert des sacrifices;
     Mais les taureaux ni les génisses
     Ne vous fléchiraient pas pour moi.

     Pour désarmer votre colère,
     L'humble aveu, le regret sincère
     Sont l'holocauste du pécheur.
     Oui, Seigneur, plus l'offense est grande,
     Et moins vous dédaignez l'offrande
     D'un coeur brisé par la douleur.

     Contre les fureurs étrangères,
     Signalez, ô Dieu de nos pères,
     Votre amour tendre pour Sion.
     Que de nouveaux murs entourée,
     Jérusalem soit délivrée
     D'une funeste oppression.

     Alors le bruit de nos cantiques,
     A nos sacrifices antiques
     Rendra leur éclat solennel.
     Nous recommencerons nos fêtes,
     Et des victimes toujours prêtes
     Se consumeront sur l'autel.
 


ODE VIII (1751: ODE VI)

Tirée du Psaume LXXVI:  Voce mea ad Dominum clamavi.

ARGUMENT

Le psalmiste en racontant la fuite miraculeuse du peuple de Dieu, hors de l'Egypte, semble annoncer la fin de la captivité de Babylone, durant laquelle on a lieu de croire que ce Psaume fut composé. Il y exprime aussi les sentiments d'une âme affligée, et la console par de salutaires instructions.
        Le Seigneur écoute ma plainte,
   Mes cris ont attiré ses regards paternels.
        J'ai percé la majesté sainte
   Dont l'éclat l'environne, et le cache aux mortels.

        Mes regrets, mes clameurs funèbres,
   Au lever de l'aurore, imploraient son appui;
        Je l'invoquais dans les ténèbres,
   Et mes tremblantes mains s'élevaient jusqu'à lui.

        Dans les plus cruelles allarmes
   Aux douleurs, aux remords, à la crainte immolé,
        Je m'excitais moi-même aux larmes,
   Mais Dieu se fit entendre, et je fus consolé.

        Je suivais jusqu'aux premiers âges
   Ses soins pour nos aïeux, son amour, ses bienfaits;
        Partout s'offiraient des témoignages
   De ce qu'il fit pour eux, sans se lasser jamais.

        Quoi! m'écriais-je, il fut leur père,
   Leur chef, leur conducteur en tout temps, en tout lieu.
        Oubliera-t-il dans sa colère
   Que nous sommes son peuple, et qu'il est notre Dieu?

        Non, l'espérance m'est rendue,
   Je sens fuir loin de moi les périls que je crains.
        Dieu soutient mon âme abattue,
   Et ce prompt changement est l'oeuvre de ses mains.

       J'ai rappelé dans ma mémoire
   Des bontés du Seigneur l'inaltérable cours.
       Mon coeur méditera sa gloire,
   Et ma bouche aux mortels l'annoncera toujours.

        Eh! quel Dieu plus grand que le nôtre!
   Quel Dieu peut égaler sa force et son pouvoir!
        Israël n'en aura point d'autre,
   Lui seul de nos tyrans a confondu l'espoir.

        Dieu puissant, du sein de la nue
   Ta main guidait Jacob par l'Egypte investi;
        Les flots troublés l'ont reconnue,
   Et du son de ta voix leur gouffre a retenti.

        Tes cris, semblables au tonnerre,
   Jusqu'au fond de l'abîme ont porté la terreur;
        Et les fondements de la terre,
   Par ta course ébranlés, ont tressailli d'horreur.

        Le tourbillon qui t'environne
   Vomit des traits brûlants qui répandent l'effroi:
        Les éclairs brillent, le ciel tonne,
   La mer frémit, recule, et s'ouvre devant toi.

        Ton char dans ces routes profondes
   Ne laisse point de trace, et court à l'autre bord.
        Pharaon te suit dans les ondes,
   Il y cherche ton peuple, il y trouve la mort.

        Israël après mille obstacles
   Va remplir le désert de ses cris triomphants.
        Seigneur, un seul de tes miracles
   Anéantit l'Egypte et sauve tes enfants.


ODE IX (1751: ODE VII)

Tirée du Psaume LXXIX: Qui regis Israël, intende.

ARGUMENT

Dans ce psaume, où le discours est adressé d'un bout à l'autre au Seigneur, le Prophète annonce la captivité de Babylone, et la délivrance du peuple juif; et sous cette double image de captivité et de délivrance, il nous représente l'empire du Démon et l'avènement du Messie.

     Auguste chef de nos ancêtres,
     Pasteur des enfants d'Israël,
     Toi qui brisas le joug cruel
     Qu'ils portaient sous d'indignes maîtres:
     Seul arbitre de nos destins,
     Toi, dont l'aile des Chérubins
     Soutient le trône inébranlable,
     Nos cris ne t'émeuvent-ils plus?
     Et sous le mal qui les accable,
     Verras-tu périr tes tribus?

     Viens, que ton peuple enfin revoie
     Le Dieu qu'il avait écarté.
     Rouvre nos yeux à ta clarté,
     Fais rentrer nos pas dans ta voie.
     Oui, nous avons armé tes mains;
     Ces faveurs que sur les humains
     Tu versas dès les premiers âges,
     Nous cessons de les mériter;
     Mais nos regrets et nos hommages
     Ne servent-ils qu'à t'irriter?

     Pourquoi, Seigneur, de nos allarmes
     Veux-tu faire encore tes plaisirs?
     Tu nourris nos coeurs de soupirs,
     Et tu les abreuves de larmes.
     A ses voisins de toutes parts,
     Jusques dans ses derniers remparts,
     Juda proscrit se voit en butte:
     C'est à toi seul de l'assister;
     Hélas! si ton bras nous rebute,
     A qui pourrons-nous résister?

     Nos ennemis par mille outrages
     Insultent tes autels détruits;
     Ils recueillent en paix les fruits
     De leurs infâmes brigandages.
     Invincible Dieu des combats,
     Vengeur puissant, qui nous abats,
     Dérobe à leurs coups ma patrie;
     Un coup d'oeil changera son sort;
     Tes regards ramènent la vie
     Aux lieux que dépeuple la mort.

     Comme une vigne transplantée
     Qui va fleurir sous d'autres cieux,
     Par toi-même dans ces beaux lieux
     Ta nation fut transportée.
     Pour nous ta voix ouvrit les mers,
     Tu fis devant nous dans les airs
     Marcher la flâme et les nuées;
     Et des barbares légions
     A leurs faux dieux prostitutées,
     Tu nous livras les régions.

     Du milieu des vastes campagnes
     Cette vigne que tu chéris,
     Elève ses bourgeons fleuris
     Jusqu'aux faîtes des montagnes.
     Les cèdres rampent à ses pieds;
     Ses rejetons multipliés
     Bordent au loin les mers profondes;
     Le Liban nourrit ses rameaux,
     Et l'Euphrate roule ses ondes
     Sous l'ombrage de leurs berceaux.

     Mais que dis-je! ta vigne sainte
     N'est plus qu'un stérile désert,
     Qu'un verger aux passants offert
     Dont toi-même as détruit l'enceinte.
     Livrée à des coups assassins,
     Le voyageur, de ses larcins
     Y laisse d'horribles vestiges;
     Et par ta vengeance conduit,
     Un monstre en a brisé les tiges,
     Dévoré la feuille et le fruit.

     Souverain roi de la nature,
     Permets-tu que des furieux
     Anéantissent sous tes yeux
     Le tendre objet de ta culture?
     Rends-lui tes premières faveurs;
     Sa ruine cause nos pleurs
     Et le désespoir où nous sommes.
     Accorde à tes enfants soumis
     Ce divin bienfaiteur des hommes,
     Que tu leur as toujours promis.

     La flamme embrase ta demeure,
     Viens éteindre ces feux mortels.
     Que l'ennemi de tes autels
     Ouvre l'oeil, t'envisage, et meure.
     Les humains faits pour t'invoquer,
     Les humains osent t'attaquer,
     Il en est temps, fais-toi connaître;
     Fais-leur connaître ce vainqueur,
     L'Envoyé des cieux, qui doit être
     Enfant de l'homme et son Sauveur.

     Jusqu'à nous ta grandeur s'abaisse;
     Trop indignes de tes bienfaits,
     Nous te consacrons désormais
     Les jours que ta bonté nous laisse.
     Que sommes-nous sans ton appui!
     Moins irrité, daigne aujourd'hui
     Nous consoler et nous instruire;
     Et dissipe enfin notre effroi,
     Par ces beaux jours que tu fais luire
     Sur les disciples de ta loi.
 


ODE X

Tirée du Psaume CI: Domine, exaudi orationem meam.

ARGUMENT

C'est ici, suivant le titre hébreu, une prière du pauvre, lorsqu'il est dans l'affliction et qu'il répand son âme devant le Seigneur. Ce pourrait être aussi la prière d'un prince ou d'un grand tombé dans l'adversité, comme semblent le signifier ces mots: Après m'avoir élevé en haut vous m'avez renversé. Quelques versets de ce psaume, dont le sens littéral désigne la captivité de Babylone, regardent allégoriquement la personne du Sauveur et l'établissement de l'Eglise.


     Pour fléchir un vengeur sévère
     Que mes cris montent jusqu'aux cieux;
     Seigneur, n'écarte point tes yeux
     Du spectacle de ma misère.
     Hâte-toi, viens à mon secours;
     Je sens, tels que l'ombre légère,
     S'évanouir mes tristes jours.

     Mon corps, victime infortunée
     Du feu dévorant qu'il nourrit,
     Privé d'aliments se flétrit,
     Comme l'herbe aux champs moissonnée.
     Mes yeux nuit et jour sont ouverts;
     Ma peau par mes pleurs est fanée,
     Et mes os ont percé mes chairs.

     Je vis comme l'oiseau sauvage,
     Qui du soleil craint le flambeau,
     Ou comme un triste passereau
     Qui s'est caché sous le feuillage.
     Ceux qui m'avaient tant exalté,
     Changeant de coeur et de langage,
     A mes malheurs ont insulté.

     J'ai souillé mon pain dans la cendre,
     Mes pleurs troublent l'eau que je bois.
     Du faîte où m'éleva ton choix,
     Tes coups m'ont forcé de descendre;
     De mes honneurs j'ai vu la fin,
     Et je me vois prêt à te rendre
     Mes jours, comme eux sur leur déclin.

     C'est le sort que tu nous destines;
     Il n'est que toi seul d'éternel.
     Sion de ton coeur paternel
     Implore les bontés divines.
     Il est temps de la relever;
     Que notre amour pour ses ruines
     T'engage à nous la conserver.

     Rois et sujets, la terre entière
     Se prosterneront devant toi.
     Ils contempleront, pleins d'effroi,
     Sion sortant de la poussière;
     Et diront à ton char liés:
     Dieu regarde enfin la prière
     De ses peuples humiliés.

     Que ces faits écrits d'âge en âge
     Soient célébrés par nos neveux.
     Dieu de son trône lumineux
     Voit la terre où l'on nous outrage.
     Il secourra les affligés,
     Et délivrera d'esclavage
     Les fils de pères égorgés.

     Tous viendront célébrer ta fête
     Dans Jérusalem et Sion.
     Des rois l'éclatante union
     Sera le fruit de ta conquête.
     Mais je meurs avant ton retour,
     Et je m'écrie: hélas! arrête,
     Laisse-moi voir cet heureux jour.

     Tu mis sur des fondements stables
     La terre et ce vaste univers.
     Les eaux des cieux, les flots des mers
     Ont connu tes lois redoutables.
     Ces ouvrages, tu les as faits,
     Mais tu les as faits périssables;
     Toi seul demeures à jamais.

     Ce ciel orageux et mobile
     S'usera comme un vêtement.
     Tu changeras le firmament
     En un ciel plus pur, plus tranquille;
     Et par tes élus habité,
     Ce sera l'éternel azile,
     De leur sainte postérité.
 



 
 

ODE XI (1751: ODE VIII)

Tirée du Psaume CIII: Benedic, anima mea, Domino; Domine Deus meus, magnificatus es vehementer.

ARGUMENT

Les Interprètes Grecs ont intitulé ce cantique Psaume de David sur la création du monde, 
C'est une description sublime (Texte XI.1) et poétique des différentes parties qui composent l'univers. L'écrivain sacré peint ici le pouvoir, la providence, l'économie et la bonté de Dieu qui éclatent également dans toutes les oeuvres de la création. On y voit l'origine et la destination de l'homme, des animaux, des astres, des éléments (Texte XI.2).  Ainsi cette ode pourrait être intitulée la création du monde.


    Inspire-moi de saints cantiques,
    Mon âme, bénis le Seigneur.
    Quels concerts assez magnifiques,
    Quels hymnes lui rendront honneur!
    L'éclat pompeux de ses ouvrages,
    Depuis la naissance des âges,
    Fait l'étonnement des mortels.
    Les feux célestes le couronnent,
    Et les flammes qui l'environnent,
    Sont ses vêtements éternels.

Ainsi qu'un pavillon tissu d'or et de soie,
Le vaste azur des cieux sous sa main se déploie:
Il peuple leurs déserts d'astres étincelants.
Les eaux autour de lui demeurent suspendues;
      Il foule aux pieds les nues,
      Et marche sur les vents.

    Fait-il entendre sa parole,
    Les cieux croulent, la mer gémit,
    La foudre part, l'aquilon vole,
    La terre en silence frémit.
    Du seuil des portes éternelles,
    Des légions d'esprits fidèles
    A sa voix s'élancent dans l'air.
    Un zèle dévorant les guide,
    Et leur essor est plus rapide
    Que le feu brûlant de l'éclair.

Il remplit du chaos les abîmes funèbres;
Il affermit la terre et chassa les ténèbres;
Les eaux couvraient au loin les rochers et les monts:
Mais au bruit de sa voix les ondes se troublèrent,
      Et soudain s'écoulèrent
      Dans leurs gouffres profonds.

    Les bornes qu'il leur a prescrites
    Sauront toujours les resserrer;
    Son doigt a tracé les limites
    Où leur fureur doit expirer.
    La mer dans l'excès de sa rage,
    Se roule en vain sur le rivage
    Qu'elle épouvante de son bruit;
    Un grain de sable la divise,
    L'onde écume, le flot se brise,
    Reconnaît son maître et s'enfuit.

La terre ici s'élève en de hautes montagnes,
Ailleurs elle s'abaisse en de vastes campagnes:
Les vallons émaillés sont remplis de ruisseaux;
Et des fleuves divers l'onde fraîche et bruyante
      Eteint la soif ardente
      Des plus nombreux troupeaux.

    Sur le rocher le plus sauvage,
    Dans les forêts, dans les déserts,
    Le cri des oiseaux, leur ramage
    Bénit le Dieu de l'univers.
    Sur les montagnes solitaires
    Il répand les eaux salutaires
    Des torrents cachés dans les cieux,
    Et dans les plaines arrosées,
    Il fait par d'utiles rosées
    Germer des fruits délicieux.

Les troupeaux dans les prés vont chercher leur pâture.
L'homme dans les sillons cueille sa nourriture,
L'olivier l'enrichit des flots de sa liqueur;
Le pampre coloré fait couler sur sa table
      Ce nectar délectable,
      Charme et soutien du coeur.

    Le Souverain de la nature
    A prévenu tous nos besoins,
    Et la plus faible créature
    Est l'objet de ses tendres soins.
    Il verse également la sève
    Et dans le chêne qui s'élève,
    Et dans les humbles arbrisseaux.
    Du cèdre voisin de la nue
    La cime orgueilleuse et touffue
    Sert de base au nid des oiseaux.

Le daim léger, le cerf, et le chevreuil agile
S'ouvrent sur les rochers une route facile.
Pour eux seuls de ces bois Dieu forma l'épaisseur;
Et les trous tortueux de ce gravier aride,
      Pour l'animal timide
      Qui nourrit le chasseur.

    Le globe éclatant qui dans l'ombre
    Roule au sein des cieux étoilés,
    Brilla pour nous marquer le nombre
    Des ans, des mois renouvelés.
    L'astre du jour dès sa naissance,
    Se plaça dans le cercle immense
    Que Dieu lui-même avait décrit;
    Fidèle aux lois de sa carrière,
    Il retire et rend la lumière
    Dans l'ordre qui lui fut prescrit.

La nuit vient à son tour, c'est le temps du silence,
De ses antres fangeux la bête alors s'élance,
Et de ses cris aigus étonne le pasteur.
Par leurs rugissements les lionceaux demandent
      L'aliment qu'ils attendent
      Des mains du créateur.

    Mais quand l'aurore renaissante
    Peint les airs de ses premiers feux,
    Ils s'enfoncent pleins d'épouvante
    Dans leurs repaires ténébreux.
    Effroi de l'animal sauvage,
    Du Dieu vivant brillante image,
    L'homme paraît quand le jour luit;
    Sous ses lois la terre est captive;
    Il y commande, il la cultive
    Jusqu'au règne obscur de la nuit.

Seigneur, Etre parfait, que tes oeuvres sont belles!
Tu fais servir l'accord qui les unit entre elles,
Au bien de l'univers, au bonheur des humains.
Partout je vois empreint le sceau de ta sagesse,
      Et tu répands sans cesse
      Tes dons à pleines mains.

    Tu fis ces gouffres effroyables,
    Noir empire des vastes mers;
    Leurs abîmes impénétrables
    Sont peuplés d'animaux divers.
    Ton souffle assembla les orages,
    Les aquilons dont les ravages
    Font régner la mort sur les eaux;
    Et tu dis: Ces mers déchaînées
    Verront leurs ondes étonnées
    Porter d'innombrables vaisseaux.

Là des monstres marins, dans leur course pesante,
Ouvrent des flots émus la surface écumante;
Ils semblent se jouer des vagues en courroux.
Quand de l'horrible faim les tourments les dévorent,
      C'est toi seul qu'ils implorent;
      Et tu les nourris tous.

    Privés de tes regards célestes
    Tous les êtres tombent détruits,
    Et vont mêler leurs tristes restes
    Au limon qui les a produits.
    Mais par des semences de vie,
    Que ton souffle seul multiplie,
    Tu répares les coups du temps;
    Et la terre toujours peuplée,
    De sa fange renouvelée
    Voit renaître ses habitants.

Dieu des jours, Dieu des temps, triomphe d'âge en âge;
Jouis de ta grandeur, jouis de ton ouvrage;
Tu regardes la terre, elle tremble d'effroi:
Tu frappes la montagne, et sa cime enflammée,
      Dans des flots de fumée
      S'abîme devant toi.

    Que le jour commence à paraître,
    Ou qu'il s'éteigne dans les mers,
    Mon créateur, mon divin maître
    Sera l'objet de mes concerts.
    Trop heureux si dans sa clémence
    Il écoute avec complaisance
    Les chants que je forme pour lui.
    Fidèle à marcher dans sa voie,
    En lui seul je mettrai ma joie,
    Mon espérance et mon appui.

Trop longtemps les pécheurs ont lassé sa justice;
Que l'enfer les dévore, et que leur nom périsse;
Que Dieu verse la paix dans le fond de mon coeur:
Qu'il pénètre mes sens, que son zèle m'enflamme,
      Et qu'à jamais mon âme
      Bénisse le Seigneur.


Texte XI.1:    1751: brillante

Texte XI.2:    1751: ‘Toutes les beautés de la philosophie naturelle et divine y sont étalées magnifiquement. C'est un tableau sublime de la sagesse, du pouvoir, de la providence, et de la bonté de Dieu qui éclatent dans toutes ses créatures'.  Ces phrases sont remplacées dans 1784 par ‘L'écrivain sacré ... des éléments'.


Odes XII - XIII
Odes XIV - XIX
Odes I - V


Last updated:26 September 2001