Epître Quatorzième

A S. A. S. Monseigneur Le Comte de C***,  1

Au nom des Francs-Maçons assemblés à Bagnères

Bagnères, Octobre 1744






Tandis qu'appelé par la guerre  2
Pour sauver le peuple Germain ,
Tu fais jusqu'aux sources du Rhin
Gronder l'effroyable tonnerre
Que Louis remet dans ta main ;
Assis sur le char de Bellone,
Prince, l'appui de la Couronne ,
Permets que d'humbles Francs-Maçons,
Sous ton auspice respectable,
Aux pieds d'un Monarque respectable
Portent leurs voeux et leurs chansons.

Au bruit de sa convalescence  3
Quels chants de joie ont retenti !
Quels transports n'ont pas ressenti
L'Univers, l'Europe et la France !
Mais du Français ressuscité,
L'amour, la tendresse énergique
Nulle part n'ont plus éclaté
Que dans ce séjour aquatique.
Ce fait ne te surprendra pas
Quand tu sauras que cet asile
Est aujourd'hui le domicile
De Maçons presque tous soldats.

Que ne puis-je, peintre fidèle
De tant de voeux multipliés,
Dans ces vers t'exprimer le zèle
De nos frères estropiés,
Et qui, tout couverts de blessures,
Ne brûlent pourtant de guérir
Que pour pouvoir bientôt courir
A de nouvelles meurtrissures !

Tout seconde ici leur transport,
L'art opère avec plus d'adresse ;
La nature fait un effort
Pour réparer avec vitesse
Les coups imparfaits de la mort.
Le mineral que l'onde roule
Est plus actif, plus pur, plus sain,
La santé dans les veines coule
Du fond de l'antre souterrain ;
Et l'eau se hâte en cent manières
De rendre leurs forces premières
Aux héros de Château-Dauphin.  4

Cependant vainqueurs de la Parque,
Quoiqu'encor faibles, sans couleur,
Ils chantent l'auguste Monarque
Qui revit pour notre bonheur.
Mais avant que l'hiver revienne,
Frais, alertes, gais et dispos,
Sur tes pas, au chemin de Vienne
Ils iront joindre leurs drapeaux.

Vole, Bourbon, cours où t'envoie
Un Roi, l'amour de nos guerriers.
Cours dans des routes de lauriers,
De la paix aplanir la voie.
La Discorde, à l'aspect des Lis,
Couverte d'horribles débris
Et du sang qu'elle aime à répandre,
Secoue encor parmi la cendre
Ses flambeaux presqu'évanoui ;
Encore un printemps, et Louis
Aux enfers la force à descendre.
Au bruit de son nom redouté,
Nous verrons malgré la fierté
De ces prôneurs de l'équilibre, 5
Qui n'ont plus tant de liberté,
La Germanie en effet libre,
César puissant et respecté,
Et du Danube jusqu'au Tibre
Paix, concorde et félicité.
 


1. Louis de Bourbon Condé, comte de Clermont (1709-1771), troisième fils du duc et de la duchesse de Bourbon, elle-même fille naturelle légitimée de Louis XIV et de la marquise de Montespan. Grand Maître de la Grande Loge de France de 1743 à 1771, il fait exercer sa charge par des substituts particuliers. Abbé et général (par dispense du pape), il ne semble pas avoir été très brillant. Il prit part aux campagnes d’Allemagne et des Pays-Bas de cette guerre, mais pas apparemment à celle d’Italie.

2. La guerre de la Succession d’Autriche (1741-1748).

3. Le roi fut très gravement malade (on ne sait de quoi) du 7 au 20 août 1744 quand il est aux armées, à Metz.

4. C’est-à-dire Casteldelfino, en Italie, dans les Alpes, près de l’actuelle frontière française et de Barcelonnette. Un combat où s’illustrèrent Chevert et la brigade de Poitou y fut livré en juillet 1744.

5. Notion fondamentale en diplomatie en particulier au XVIIIe siècle, invoquée par les Français pour rabaisser les Habsbourg, mais aussi auparavant par d'autres Etats contre Louis XIV. On n'a pas pu déterminer pourquoi Le Franc l'évoque ici --  apparemment avec ironie.