fin du poème

PROPHETIE D'HABACUC, CH. II
 

Ordre au Prophète d'écrire sa vision.  Anathème à l'incrédule.  Le Juste vit de sa foi.  Malheur aux ambitieux, malheur aux tyrans, aux alliés perfides, aux nations idolâtres.  (T1)

     Dans ces jours de sang et de larmes,
     Au milieu du trouble et du bruit,
     Comme un soldat qui sous les armes,
     Veille en silence dans la nuit,
     Je prête une oreille attentive,
     J'attends que le Seigneur arrive
     Aux lieux où j'ose l'appeler ;
     J'attends qu'il frappe ou qu'il console,
     Qu'il fasse entendre sa parole,
     Et qu'il m'ordonne de parler.

Mais il vient ; je l'entends : sa voix perce la nue.
Ecoute, me dit-il, écoute, et sur l'airain
Grave tous les objets qui s'offrent à ta vue.
     Le Seigneur emprunte ta main
Pour apprendre aux mortels que son heure est venue.

Ecris ce que j'ordonne, obéis avec soin.
     Que de prodiges vont éclore !
Le temps en est marqué, le jour n'en est pas loin ;
Mais il en est aussi que je diffère encore,
     Et dont tu seras le témoin.

Sourd aux cris effrayants des sacrés interprètes
L'incrédule en fureur blasphème contre moi.
Mais le juste en silence écoute mes Prophètes,
       Et vivra de sa foi.

Semblable au vil mortel qu'une liqueur perfide
Met au rang de la brute et prive de ses sens,
Le superbe endormi par son orgueil stupide,
       Perd ses honneurs naissants.

La triste ambition le rend impitoyable,
Et dans un corps infâme il porte un cœur de fer,
Un cœur plus dévorant et plus insatiable
       Que la mort et l'enfer.

De ses sujets tremblants idole passagère,
Lui-même s'associe à la Divinité ;
Mais il pâlit de honte, et rugit de colère,
Par ses propres captifs dans sa cour insulté.
Périsse le tyran dont la coupable usure
Confond dans ses trésors les richesses d'autrui ;
Trésors pétris de sang, amas de fange impure,
Que les foudres du Ciel consument avec lui.

Insensé, quel sera le fruit de tes rapines ?
Les champs et les cités ne sont plus que ruines,
       Et que vastes tombeaux.
Mais de tous ces forfaits terribles représailles,
Ceux dont tu dévoras les biens et les entrailles
       Deviendront tes bourreaux.

Malheur à tout mortel qui sur son avarice
Fonda de sa maison le fragile édifice,
       Et l'espoir suborneur :
Des célèbres revers il grossira l'histoire ;
Rentré dans le néant, ce qu'il fit pour sa gloire
       Tourne à son déshonneur.

Esclave de ton luxe, au sein de tes portiques,
Roi cruel, tu jouis des misères publiques ;
Ils parlent contre toi, ces riches bâtiments,
Où la main des flatteurs a gravé ton éloge ;
Et ce sont les témoins que le Ciel interroge
     Au jour fatal des châtiments.

     Malheur au souverain barbare,
     Dont la magnificence avare
Des larmes de son peuple arrose ses palais.
     Quelle main l'a mis sous le dais,
Et dans ce rang superbe où son esprit s'égare ?
C'est le Dieu qui créa les hommes et les temps :
Mais ses remparts maudits par ce Dieu qu'il outrage,
     Engloutiront leurs habitants.
Une guerre d'un jour, un feu de peu d'instants
Des siècles et des Rois anéantit l'ouvrage.

Le Seigneur va combattre, et je vois ses drapeaux
Franchir de l'orient les portes enflammées.
     Le Ciel lance tous ses carreaux,
     La terre enfante des armées,
     Et la mer vomit des vaisseaux.

     Malheur à toi dont l'adresse
     Par un nectar dangereux,
     Causa la fatale ivresse
     D'un ami trop généreux.
     Dieu témoin de ta malice,
     Te présente le calice
     Qui punit les faux serments ;
     Tu bois l'eau de l'imposture,
     Et tu rends ton âme impure
     Dans de noirs vomissements.

     Tes états sont au pillage ;
     Tes peuples sont massacrés,
     En déplorant le carnage
     De leurs animaux sacrés.
     Seuls fruits de tes perfidies,
     Le meurtre et les incendies
     Nous vengent de tes projets ;
     Et nos frères se consolent
     Au bruit des maux qui désolent
     Ta famille et tes sujets.

     Voilà donc les faveurs insignes
     Que vous recevez de vos dieux.
     De ces divinités indignes,
     Mortels, vous remplissez les cieux.
     Des colosses jetés en fonte
     Sont l'objet d'un culte nouveau ;
Et l'artisan troublé se prosterne sans honte
Devant ces dieux muets, enfants de son ciseau.

     Le sculpteur a dit à la pierre :
     Sois un dieu, je vais t'implorer.
Il a dit à ce tronc étendu sur la terre :
     Lève-toi, je veux t'adorer.
D'un bois rongé de vers, ou d'un marbre insensible,
     L'idolâtre fait son appui.
Mais le Seigneur habite un temple incorruptible ;
Que l'univers se taise et tremble devant lui.

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TEXTE:
1. Citation latine qui précède le poème dans 1751:
Super custodiam meam stabo et figam gradum super munitionem, et contemplabor ut
      videam quid dicatur mihi, et quid respondeam ad arguentem me.

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