Livre IV, Ode cinquième

Etablissement, utilité et nécessité du culte extérieur


[Etablissement, utilité et nécessité du culte extérieur ; effort de l'impiété contre ce même culte ; bonheur des campagnes qui le conservent encore avec la foi]

[Ode V, Livre IV des Odes, Oeuvres, 1784, II, 167-175]


 

Je l'ai donc rétabli, l'édifice champêtre,
Où des rois de la terre habitera le maître,
A côté des lambris object de mon amour ;
Et je puis m'écrier, quand mon oeil le contemple,
        Benjamin, près du temple
        A marqué son séjour.

Ce côteau, ces jardins, ce fleuve et son rivage,
Ces champs sont du Seigneur le paisible héritage,
D'où l'orgueil des cités, d'où le vice est banni.
C'est ici que cherchant des esprits doux, tranquilles,
        Il bénit les asiles
        Où lui-même est béni.

C'est ici qu'au milieu de nos humbles fortunes
Il aime à recevoir des offrandes communes
Qu'embellit à ses yeux l'innocence des moeurs.
Tout séjour, s'il est pur, est fait pour ses oracles ;
        Ses plus beaux tabernacles
        Sont bâtis dans nos coeurs.

Il y grava ses lois en nous donnant la vie.
Du sein de nos erreurs leur voix s'élève et crie
Dans la diversité du culte et des climats :
De la foi primitive immortel caractère,
        Qu'en nous le crime altère,
        Mais qu'il n'efface pas.

Il fallait cependant que des mortels volages
Un objet plus prochain rappelât les hommages
Au véritable auteur de la terre et des cieux.
Il fallait qu'un autel et qu'un temple visible
        Fît un effet sensible
        Sur l'âme et sur les yeux.

Pour ramener à lui de faibles créatures,
Dieu traça de ses mains, sous diverses figures,
Le mystique tableau de son règne éternel.
De sa demeure sainte ordonnateur suprême,
        Il descendit lui-même
        Dans les camps d'Israël.

C'est là qu'en leurs besoins le pauvre et le pupille,
La veuve, le vieillard, et l'épouse stérile
S'approchaient de leur Maître, invoquaient son secours ;
C'est là que sa rigueur cédait à sa tendresse,
        Et qu'outragé sans cesse,
        Il pardonnait toujours.

Ainsi fut établi le lieu saint et propice
Où, touché de l'amour plus que du sacrifice,
Dieu reçoit dans ses bras des enfants révoltés :
Asile où chaque jour entre lui-même et l'homme
        Sa clémence consomme
        Tant de nouveaux traités.

Mais ni ce pavillon, mobile sanctuaire,
Ni cette arche terrible autant que salutaire,
Ni ce temple fameux, rempli de vases d'or,
Ni les riches tributs d'une terre féconde,
        Au Rédempteur du monde
        Ne suffisaient encor.

Israël et Juda perdent sa confiance.
Le sceau d'une nouvelle et plus longue alliance
Sur un autel plus pur des cieux fut envoyé ;
Et l'appareil nouveau d'un culte irrévocable
        Par une loi durable
        Fut alors déployé.

Le vainqueur de la mort, le vrai Seigneur de gloire,
Pour monument certain de sa haute victoire
D'une Eglise invincible éleva les remparts :
Ecueil où sont brisés les efforts de l'abîme,
        Qu'une auguste victime
        Confond de ses regards.

O Maison du Seigneur, que tes fêtes sont belles !
C'est un essai brillant des fêtes éternelles ;
Quelle pompe, quel ordre, et quelle majesté !
Je crois des cieux ouverts voir la magnificence,
        Et je sens la présence
        De la Divinité.
 

Et vous, qui des autels souillant les privilèges,
Des mystères divins spectateurs sacrilèges,
Repoussez loin de vous leurs effets tout-puissants ;
O si de leurs rayons les célestes lumières
        Pénétraient les barrières
        Que présentent vos sens!

Ingrats, dans l'instant même où votre oreille impie
Acad. avec dédains les paroles de vie
Qui consacrer le sang, pour vous prêt à couler,
Vous verriez dans les airs les troupes immortelles
        Se cacher sous leurs ailes,
        Adorer et trembler.

L'ennemi des humains a corrompu la terre.
Au Christ par des Chrétiens souvent il fit la guerre,
Mêlant aux vérités L'ART d'un mensonge obscur,
Mais toujours quelque digue aerated ses ravages ;
        Il enfante des sages,
        Son triomphe est plus sûr.

Et ce n'est point un feu qui, sorti de la cendre,
Avant que sa fureur puisse au loin se répandre,
Est bientôt étouffé par des soins vigilants ;
C'est un volcan fougueux qui brûle, qui dévore,
        Et qui s'accroît encore
        Par le souffle des vents.

Nul frein, nulle pudeur ne retient cette audace.
L'impie encouragé se nomme, écrit, menace.
France, tu n'es donc plus le séjour de la foi ?
Terre de Saint Louis, quels changements extrêmes!
        Faut-il que tu blasphèmes
        Le Dieu de ce grand roi?
 

Quels dogmes insolents en tous lieux retentissent !
Les femmes, les vieillards, les enfants applaudissent,
Et boivent à longs traits ces poisons séducteurs.
Mais quelles sont enfin les utiles maximes
        Et les leçons sublimes
        De ces rares Docteurs?

Tout n'est que préjugé d'enfance ou de jeunesse ;
Les remords sont les cris de l'humaine faiblesse ;
Je dois sur mes besoins régler mes actions :
L'homme, esclave brutal de l'instinct qui l'enflamme,
        Sans Dieu, sans loi, sans âme,
        N'a que des passions.

Par de fausses lueurs imprudemment guidée,
Ma trop faible raison n'a qu'une vaine idée
Des plus saintes vertus, des forfaits les plus noirs.
Je suis fils, père, époux, sans chaîne qui me lie,
        Citoyen sans patrie,
        Et sujet sans devoirs.

Cet ordre merveilleux de la nature entière
N'est qu'un pouvoir aveugle, enfant de la matière,
Un concours incertain d'atomes ramassés.
De cent vieilles erreurs pitoyable mélange !
        Philosophie étrange
        Qui fait des insensés !

Parlez, fameux mortels, prodiges de science,
Quand vous aurez détruit mes remords, ma croyance,
Vos systèmes hardis feront-ils mon bonheur ?
L'homme que vous plaignez, cet homme si fragile,
        S'il n'est plus d'Evangile,
        En sera-t-il meilleur ?

Mais si Dieu, l'Esprit Saint, nous l'a dicté lui-même,
Et si de notre foi cette règne suprême
Doit vaincre au dernier jour vos trompeurs arguments :
Perfides, répondez, quel attentat égale
        L'imposture fatale
        De vos enseignements ?

Je vois déjà des traits s'élancer de leurs bouches ;
Qu'ils redoublent leurs cris, ces ennemis farouches ,
Que mon coeur ni ma voix n'ont jamais offensés.
Hélas ! je leur pardonne, et malgré leurs injures,
        Oui, les races futures
        Me vengeront assez.

Je pardonne aux transports de leur fougueuse haine,
Si, parmi les succès dont le vent les entraîne,
A la foi qui s'ébranle il reste des soutiens ;
Et si l'impiété qui subjugue nos villes,
        Du moins dans ces asiles
        Laisse encor des Chrétiens.

Ne cessez point de l'être, ô vous, peuple fidèles,
Qui dans vos durs travaux conservez avec zèle
Cette foi pure et simple, heureux présent des cieux,
Et n'abandonnez point pour d'absurdes chimères
        Du culte de vos pères
        Le dépôt précieux.
 
Le Dieu qu'ils adoraient est le Dieu qui vous donne
Les moissons de l'été, le nectare de l'automne,
L'herbe de la prairie et le lait des troupeaux ;
Le Dieu qu'ils adoraient étend sa providence
        Jusqu'à la subsistance
        Des moindres animaux.

C'est lui qui vous exauce au temps de vos alarmes,
Qui fait tomber les flots que demandent vos larmes,
Quand un ciel trop brûlant dessèche nos vallons ;
Ou qui retient les eaux dans le sein des nuages,
        Quand de trop longs orages
        Inondent vos sillons.

C'est lui qui vous apprend à supporter vos peines.
Si le prince est injuste en ses lois souveraines,
Vous savez que le ciel tôt ou tard l'en punit ;
Vous pleurez en secret les triomphes du vice ;
        Vous plaignez la justice,
        Dont le règne finit.

Au seul Juge infaillible abandonner le reste ;
Opposer aux revers une douleur modeste ;
Garder la paix du coeur dans les temps orageux ;
Ne perdre aucun moment de cette courte vie,
        C'est la philosophie
        De qui veut être heureux.

C'est la vôtre, habitants de ces bords solitaires,
Qui n'êtes point encor les jouets volontaires
De l'erreur attachée au superbe savoir ;
Et qui n'employez pas tant d'inutiles veilles,
        A sonder des merveilles
        Qu'il vous suffit de voir.

Puissent des sentiments que le siècle condamne,
En dépit des complots d'une secte profane,
Vous sauver pour toujours de ses coups meurtriers ;
Puissent-ils de vos fils, riche et commun partage,
        Habiter d'âge en âge
        Vos toits et mes foyers.

Ah ! si jamais ces lieux, dont le sort m'intéresse,
Rassemblent les objets de toute ma tendresse,
Une épouse, un enfant, doux trésors de mon coeur !
Quel plaisir de les voir avec vous dans ce temple
        Prendre, donner l'exemple
        D'une tendre ferveur.

Nos voeux, nos chants unis retentiront ensemble ;
Et le blasphémateur, qui menace et qui tremble,
Sèmera dans les airs le bruit de ses discours,
En attendant un siècle aux vertus moins funeste,
        Qui proscrive et déteste
        Les vices de nos jours.

Occupé cependant de mes travaux rustiques,
Dans ce port éloigné des tempêtes publiques,
Je vivrai sans soucis en vivant sans emploi.
Trop heureux que mes jours, si le ciel me seconde,
        Inutiles au monde,
        Soient utiles pour moi.