A Églé

                       Epîtres Livre II, 1

                        Janvier 1732
 

Tu n’en peux douter, je t’adore ;
Pardonne mes égarements.
Ma jeunesse qui s’évapore,
Charmante Eglé, ne joint encore
A quatre lustres note1   que deux ans.
C’est bien l’âge de la tendresse,
Mais non celui de la sagesse,
Ni des profonds raisonnements.
Ton coeur, outré de mes caprices,
Contre mes folles injustices
Cent fois a dû se courroucer.
Mes pleurs, mes soupirs, mes alarmes
Ne valent pas une des larmes
Qu’à tes beaux yeux j’ai fait verser.

L’an commence, bientôt il passe,
Nos jours ne sont que des instants ;
Rien n’est durable, tout s’efface
Sous l’aile rapide du temps.
De cette commune disgrâce
Sauvons du moins nos sentiments.
Que notre amour malgré les ans,
Dans sa carrière fortunée,
Ressemble à ces jours de printemps
Dont le soir vaut la matinée.

Que de notre fidélité
Lui-même il soit la récompense ;
Qu’une tendre vivacité
Le rapproche de sa naissance,
Et joigne au prix de la constance
Le plaisir de la nouveauté.
 
 

1. Un lustre est un mot littéraire indiquant une période de cinq ans.