DISCOURS XII,
Tiré des chapitres 11 et 12 de l'Ecclésiaste.
Faire de bonnes œuvres, se préparer à la vieillesse, à la mort et au jugement de Dieu.



Comme aux jours de l'automne, en des sillons fertiles,
Le sage laboureur répand les grains utiles
Dont le germe fécond, dans la terre humectée,
Forme durant l'hiver les trésors de l'été :
Ainsi des biens mortels l'économe fidèle,
Qui sur les malheureux les épanche avec zèle,
Sème des fruits de vie en des champs précieux
Dont la moisson s'élève et mûrit dans les cieux.

   Vous voyez ces torrents qui tombent des nuages,
Soudains tributs de l'air, nés du sein des orages ;
Mais tout n'en ressent pas les humides faveurs :
Là vous n'apercevrez que verdure et que fleurs ;
Ici l'herbe languit, ou meurt à peine éclose,
Dans le terroir ingrat qu'en vain le ciel arrose.
Qu'importe que vos dons souvent soient mal placés ?
Dieu qui veille sur nous les voit et c'est assez.
L'abus au bienfaiteur n'en est jamais funeste;
Et si l'emploi se perd, du moins le bienfait reste.

   Ce sont là les vertus, les trésors assurés
Qui ne périssent point et par qui vous vivrez.
Elles sont au tombeau nos compagnes fidèles,
Et la mort et l'enfer se tairont devant elles.
Ne fondez point ailleurs vos vœux ni votre espoir.
Quand vous auriez du trône exercé le pouvoir,
Quand de siècles sans nombre, au gré de votre envie,
Le ciel aurait tissu le cours de votre vie,
Quand pour vous chaque jour eût créé des plaisirs,
Et que chaque instant même eût comblé vos désirs ;
Ce sont des jours perdus, des instants inutiles,
Si vous n'avez prévu ces repentirs stériles,
Et ces derniers moments d'ennui, d'obscurité,
Qui vous diront trop tard que tout fut vanité.
Tout le fut ; le plaisir, la jeunesse et la joie :
Vous crûtes en jouir, le temps en fit sa proie ;
Il vous en laissait l'ombre, elle fuit à son tour.
Bientôt vos yeux éteints ne verront plus le jour :
Sur vos fronts sillonnés la pesante vieillesse
Imprimera l'effroi, gravera la tristesse :
Ses frimas détruiront vos cheveux blanchissants ;
Vous perdrez le sommeil, ce charme de nos sens.
Les mets n'auront pour vous que des amorces vaines ;
Vous serez sourds au chant de vos jeunes sirènes.
Vos corps appesantis, sans force et sans ressorts,
Feront pour se traîner d'inutiles efforts.
La mort, d'un cri lugubre annoncera votre heure ;
L'éternité pour vous ouvre alors sa demeure :
On verse quelques pleurs, suivis d'un prompt oubli.
Le corps né de la fange, y rentre enseveli ;
Et l'esprit remonté vers sa source divine,
Va chercher son arrêt où fut son origine.

   Ainsi finit le cours de vos ans limités.
Vos plaisirs, vos honneurs ne sont que vanités.
Le sage vous le dit, l'Esprit-Saint vous l'inspire ;
Par ses traits consolants son amour nous attire ;
Il en remplit notre âme et c'est l'unique sceau
Dont l'unique pasteur a marqué son troupeau.
Je fus son interprète, il dicta ces maximes,
Ces leçons de vertu touchantes et sublimes ;
C'est l'ouvrage du ciel, mon fils et non le mien.
Les hommes t'instruiront, leur science n'est rien :
Elle accable l'esprit, l'afflige ou l'empoisonne.
Ces docteurs applaudis que la foule environne,
Ces arts multipliés, ces volumes nombreux,
Nous rendent-ils meilleurs, ou du moins plus heureux ?
Non ; c'est un vain remède aux dégoûts de la vie.
C'est dans son propre cœur que le sage étudie.
Il y consulte en paix la souveraine loi,
Et soumet sa raison, ses doutes et sa foi.

   Pour vous, peuples divers qu'ici ma voix rassemble,
Ecoutez ces discours, méditez-les ensemble ;
Que de votre mémoire ils ne sortent jamais.
Craignez, servez toujours le Dieu qui vous a faits ;
Connaissez son pouvoir, sentez votre faiblesse ;
De ses conseils profonds adorez la sagesse.
Mortels, c'est-là tout l'homme. O volages humains !
Faut-il que le bonheur s'échappe de leurs mains !
Dieu veut qu'ils soient heureux et cet aimable maître
Leur donna le désir et les moyens de l'être.
Mais ne profanons pas son auguste secours.
Notre âme n'a pour lui ni replis, ni détours ;
Elle est sous ses regards, elle est dans sa balance :
Du pécheur qui se cache il entend le silence ;
Ses invisibles mains préparent le tableau
Qui frappera nos yeux en entrant au tombeau.
L'homme alors n'aura plus d'espoir ni de refuge.
Témoin contre lui-même, accusateur et juge,
Il fut libre, il connut la loi, la vérité ;
Et lui seul fait l'arrêt de son éternité.