DISCOURS VII,
Tiré des deux premiers chapitres de l'Ecclésiaste.
Vanité de toutes choses, vanité de nos études, de nos spéculations, des plaisirs, des bâtiments, des richesses et de la philosophie humaine.




Tout n'est que vanité, tout n'est qu'erreur dans l'homme,
Du nom de sage en vain quelquefois il se nomme,
Dans cet être frivole et sans cesse agité,
Tout n'est qu'illusion, faiblesse et vanité.
Une race périt, une autre la remplace,
La terre sous leurs pas ne change point de face :
Chaque jour le soleil rallumant son flambeau,
Voit de ces nations le mobile tableau,
Il se lève, il se couche, il reparaît encore ;
Par la même carrière il retourne à l'aurore,
Commence ainsi sa course et la finit toujours
Dans le cercle étoilé qui renferme son cours.
Le vent, ressort de l'air, dans sa vitesse extrême,
S'élance en tourbillons et revient sur lui-même.
Tous les fleuves du monde entrent au sein des mers,
Sans que leurs flots unis ravagent l'univers ;
Dans les flancs de la terre ils reprennent leur course,
Et ce chemin secret les ramène à leur source.

   Qui nous dévoilera par de puissants efforts,
Ce vaste mécanisme et ses divers ressorts ?
Avide également et de voir et d'entendre,
En vain pour les sonder, en vain pour les comprendre,
L'homme d'un soin pénible a surmonté l'ennui ;
La nature est toujours une énigme pour lui.
Que sait-il ?  Que voit-il ?  Ce qu'ont vu ses ancêtres.
Il n'est rien de nouveau : ce sont les mêmes êtres,
Les mêmes passions et les mêmes objets ;
Nous inventons des arts, nous formons des projets
Qui seront oubliés par de nouvelles races,
Dont les siècles suivants effaceront les traces.
On invente, on oublie, on élève, on détruit,
Tout passe, tout s'écoule et tout se reproduit.

   Je règne ; mais un Roi ne vaut jamais un sage.
Je demandai, j'obtins la sagesse en partage ;
J'empruntai son flambeau pour éclairer mes yeux,
Pour étudier l'homme et lire dans les cieux.
Le créateur lui-même imprima dans notre âme
Ces désirs inquiets dont l'essor nous enflamme.
Mais quoi ! dans la nature et dans l'humanité,
Je n'ai vu que soucis, misère et vanité.
J'ai vu que du méchant le cœur est indocile,
Que pour un fou qui meurt, il en renaissait mille.
Et j'ai dit : Je surpasse en sagesse, en grandeur,
Tous les rois dont la terre admirait la splendeur ;
J'ai voulu tout savoir et je sais tout peut-être.
Arbitre des mortels je cherche à les connaître,
A guérir les penchants qui leur donnent la loi ;
Je suis leur philosophe encore plus que leur Roi.
Desseins infructueux, études toujours vaines,
Qui ne corrigent point les faiblesses humaines.
Au milieu des erreurs trop de sagesse nuit :
Le plus profond savoir est perdu, s'il n'instruit.

   Ah ! fuyez, m'écriai-je, importunes chimères,
Goûtons des biens présents les douceurs passagères,
Occupons-nous de jeux, de ris et de festins.
J'élevai des palais, je plantai des jardins :
Sous des berceaux de fleurs les fontaines jaillirent ;
Des concerts les plus doux mes forêts retentirent.
L'univers étonné crut que j'étais heureux.
Les nations m'offraient des tributs et des vœux :
J'ai des trésors des Rois enrichi ma patrie,
Et des cultivateurs excité l'industrie.
La terre a couronné mes soins laborieux.
J'ai satisfait mon cœur ; j'ai contenté mes yeux ;
De mes divers travaux ils ont eu les prémices.
J'ai cru jouir enfin, j'ai cru que les délices
Etaient des jours d'un roi le charme et le soutien ;
Et cette jouissance est encore un faux bien.

   Ainsi je me lassai de ces plaisirs futiles,
De ces palais brillants où tant de mains habiles
Par mon ordre employaient le jaspe et le saphir,
Et les arts de l'Egypte et le métail d'Ophir.
Qui sera l'héritier, me disais-je à moi-même,
Des biens que je possède et de mon rang suprême ?
Sera-t-il vicieux, ou l'ennemi du mal,
Econome ou prodigue, avare ou libéral,
Imprudent ou sensé, fourbe ou vrai ? Je l'ignore.
Pourquoi donc en désirs me consumer encore ?
Pourquoi tant fatiguer mon esprit et mes sens,
Sacrifier la force et la fleur de mes ans,
Pour enrichir, que sais-je ?  Un ingrat, un impie,
Un homme lâche ou faible et dont l'âme assoupie,
Parmi les voluptés, la mollesse et l'erreur,
Sous le poids de son corps languira sans honneur ?

   Je reconnus alors, je sentis l'avantage
Que sur les insensés aura toujours le sage :
Le jour qui nous éclaire en a moins sur la nuit.
Ceux-là marchent sans voir la main qui les conduit,
Le sage au moins regarde et ses yeux sont ses guides.
Mais tous, soit insensés, soit prudents, soit stupides,
Ignorants et savants, tous ont un sort égal :
La mort de leur carrière est le terme fatal.
Il n'est point de vertu, de talents ni de gloire
Qui puissent d'un mortel assurer la mémoire.
Les noms mêmes, les noms sur le marbre tracés,
Par le souffle du temps en seront effacés.
Tout meurt ; je mourrai donc. Mon règne et mes ouvrages
Tomberont avec moi dans le torrent des âges.
Depuis que ces objets assiègent mes esprits,
Que la vie à mes yeux a perdu de son prix !
Elle m'est importune et son fardeau m'accable.
Ne la surchargeons plus d'un travail misérable.
C'est le sort d'un pécheur d'augmenter ses besoins,
D'abandonner son âme à d'inutiles soins,
De posséder sans goût, d'acquérir sans mesure.
Savourons sobrement les sons de la nature ;
Ils viennent de Dieu même, ils sont pour les humains :
En jouir sans abus, c'est remplir ses desseins.
L'art de se modérer naît de l'expérience.
Aux mortels qu'il chérit Dieu donne la science,
La sagesse, la paix et des loisirs heureux ;
Le reste est superflu s'il n'est pas dangereux.