HEUREUX qui de ses mains
cultive les sillons (1)
Où son champêtre
aïeul planta ses pavillons,
Qui demande à la
terre un tribut légitime,
Pour nourrir les mortels
l'épuise et la ranime,
Et par l'utile effort d'un
soin toujours nouveau,
En devient l'économe
et non pas le fardeau.
Digne que la nature équitable
et féconde
A tant d'activité
par ses bienfaits réponde,
Tantôt dans ses guérets,
tantôt dans son bercail,
Il rend hommage au ciel
des fruits de son travail.
C'est ainsi
qu'il remplit la loi de sa naissance ;
Tandis que de ce riche au
sein de l'opulence,
Les sens dans le repos sont
presque anéantis.
Par le sommeil du cœur ses
yeux appesantis, (2)
N'ont pour les biens réels,
pour le bonheur solide
Qu'une vue incertaine et
qu'un regard stupide.
De palais en palais mollement
transporté,
Du pauvre en vain suivi,
de flatteurs escortés,
Il ignore les soins, la
peine et l'industrie ;
Et sa main qui jamais ne
servit la patrie,
Laisse écouler son
or par cent canaux ouverts,
Dans l'abîme du luxe
et
des plaisirs pervers :
Cet or, dont il pourrait
finir tant de misères,
Soulager les besoins et
les maux de ses frères :
Cet or, fléau du
monde et de l'humanité,
Quand il ne sert qu'au faste
et qu'à la volupté.
De ces biens
corrompus rejette au loin l'usage,
Mon fils, je t'offre ici
les seuls trésors du sage,
Les seuls dont la beauté
mérite nos regards ;
Dans les bois, dans les
champs ces trésors sont épars ;
Il germent sous nos pieds,
nos mains les font éclore :
Il ne leur faut souvent
qu'un beau jour, qu'une aurore,
Qu'un ciel pur ou rempli
de fécondes vapeurs,
Qu'une douce rosée,
ou de vives chaleurs.
Des épis verdoyants,
des moissons qui jaunissent,
Des arbres entourés
d'eaux qui les rafraîchissent,
Des coteaux qu'embellit
la pourpre des raisins,
Des vergers, des hameaux
l'un de l'autre voisins,
Des enclos possédés
sans crime et sans querelle,
Des foyers pleins de joie,
une paix éternelle :
Tel est l'asile unique où
la main du Seigneur
A fixé la vertu,
la concorde et l'honneur.
Que ce spectacle
est riche et qu'il a droit de plaire
A tout cœur dégagé
d'un intérêt vulgaire !
Tourne vers ces objets et
tes vœux et tes soins ;
Ils suffiront, mon fils,
à tes divers besoins.
La nature t'appelle et t'ouvre
son école ;
Dans ses productions consulte
sa parole,
Consulte-la toujours et
songe que sa voix
Est le conseil de l'homme
et la mère des lois.
Apprends de
cette mère, apprends, enfant docile,
A mériter ses dons
par un service utile.
Du mortel qui les cherche
ils suivent les désirs.
Le paresseux languit dans
ses honteux loisirs ;
J'ai vu sa vigne inculte
(3)
et ses champs pleins d'épines ;
Leur enceinte croulait et
tombait en ruines ; (4)
Brûlés par
les chaleurs, transis par les frimas,
Ses enfants presque nues
se traînent sur ses pas.
Sous ses toits délabrés
où la faim le tourmente,
Sa misère s'accroît
et sa paresse augmente.
Son état m'a touché,
ses fautes m'ont instruit. (5)
Et toi, de mes
leçons qui recueilles le fruit,
Laborieux mortel, sers d'exemple
à ses frères ;
Pour labourer ton champ,
prends le soc de tes pères.
Spectateur assidu de la
terre et des cieux,
Pénètre les
secrets qu'ils cachent à tes yeux.
Observe le retour, le déclin
de l'année,
Le cercle où du soleil
la course est enchaînée,
L'inconstance des vents,
les temps et les saisons,
Et leur vicissitude et leur
combinaisons,
L'influence de l'air et
le pouvoir de l'onde ;
De ce livre animé
que l'étude est féconde !
Il est toujours ouvert pour
le cultivateur :
Il sert au philosophe autant
qu'au laboureur.
Tout homme eut le travail
et la terre en partage.
Il n'est rien d'infertile,
il n'est rien de sauvage ;
Si tu sais avec art ménager
les terrains ;
Ici fleurit la vigne et
là germent les grains.
Ce terroir produira des
plantes salutaires ;
Cet espace est marqué
pour des bois solitaires ;
De ces prés où
tes mains ont creusé des canaux,
Déjà l'herbage
est mûr et n'attend que la faux (6)
Ainsi donc tous les biens
qu'enfante la nature,
Seront en divers temps le
prix de ta culture.
Des fleuves,
des ruisseaux que les bords soient peuplés
De troupeaux différents
toujours renouvelés.
Qu'ils connaissent ta voix,
le son de ta musette ;
Des paisibles sujets conduits
par sa houlette,
Tout pasteur vigilant sait
le nombre et les noms. (7)
Content de leur amour, satisfait
de leurs dons,
Sur ce peuple soumis tu
régneras sans armes ;
Ses innocents tributs ne
coûtent point de larmes :
C'est du lait, des toisons,
richesse des pasteurs, (8)
Et dont l'abus jamais ne
corrompit les mœurs.
Possède-là,
mon fils et dans sa jouissance
De ton cœur vertueux affermis
l'innocence.
Mais un bien doit encore
exciter tes désirs,
Un bien qui met le comble
au bonheur, aux plaisirs,
Un bien si précieux
que ton auteur suprême,
Pour le rendre plus doux
l'a tiré de toi-même :
Une compagne enfin, qui,
digne de ton choix,
D'une épouse fidèle
exerce tous les droits,
Et qui t'offre sans cesse,
en retour de ta flamme,
Moins les attraits du corps
que les beautés de l'âme. (9)
Confie à
son amour tes dociles enfants ;
Qu'elle règne aux
foyers comme toi dans les champs.
C'est là que sa prudence
accroît ton héritage,
Entre tes serviteurs qu'elle
seule partage
Les fuseaux, la navette
et les divers emplois
Qu'au sein de ta famille
établiront ses lois.
Quand des feux du matin
l'univers se colore, (10)
Son visage aussi pur, aussi
frais que l'aurore
Ecarte le sommeil, bannit
l'oisiveté,
Ranime le travail que soutient
sa gaîté. (11)
Les arts à ses leçons
avec zèle obéissent ;
Par ses mains cultivées
(12)
tous les arts l'enrichissent ;
Vainqueur de la tempête,
un vaisseau chargé d'or, (13)
Du maître qui l'attend
remplit moins le trésor.
La rigueur des hivers (14),
ni la disette affreuse
Ne pénètrent
jamais dans sa retraite heureuse ;
De l'orphelin, du pauvre
(15),
en leur calamité,
Elle calme la faim, couvre
la nudité.
L'indigence en ce lieu n'est
jamais importune ;
C'est un asile ouvert aux
cris de l'infortune :
Un séjour où
chacun goûte et voit sans ennui
Sa félicité
propre et le bonheur d'autrui.
Et tels sont
les travaux, les succès d'une femme
Qu'un zèle bienfaisant
éclaire, instruit, enflamme.
O des faveurs du ciel rare
et modeste emploi !
Femme forte, quel homme
est comparable à toi !
Quel homme accomplit mieux
le précepte suprême
De chérir les humains
à l'égal de soi-même !
Femme heureuse ! ses jours,
au monde précieux,
Sont loués sur la
terre et bénis dans les cieux.
L'innocente candeur dans
sa bouche réside ; (16)
A tous ses entretiens la
charité préside ;
Que de voix à l'envi
consacrent ses bienfaits !
Que de cœurs subjugués
par ses chastes attraits !
Son époux est brillant
des rayons de sa gloire, (17)
Et ses enfants devront leur
lustre à sa mémoire.
Que pour d'autres
le marbre entassé jusqu'aux cieux
Apprenne à l'univers
leurs titres glorieux ;
L'artisan secouru, la pauvreté
bannie,
Ses serviteurs heureux et
sa famille unie,
Des fils dont elle-même
a formé la raison,
C'est dans ces monuments
qu'elle aime à voir son nom :
C'est-là qu'il se
conserve et qu'honoré des sages
Il triomphe à la
fois de l'envie et des âges. (18)
O crainte du
Seigneur, tu règles tous ses pas,
Tu répands ses trésors,
tu défends ses appas ;
Le monde rend hommage à
sa conduite austère :
Tout corrompu qu'il est,
c'est un juge sévère,
Qui déteste et méprise,
en dépit des flatteurs,
Les biens sans la vertu,
la beauté sans les mœurs. (19)
2) O paresseux, jusqu'à quand dormirez-vous ? Quand vous éveillerez-vous de votre sommeil ? Ch, 6, v. 9.
3) J'ai passé par le champ du paresseux et par la vigne de l'insensé. Ch. 24, v. 39.
4) J'ai trouvé que tout était plein d'orties, que les épines en couvraient toute la surface, et que l'enceinte de pierres qui l'environnait était abattue. Ibid. v. 31.
5) Je l'ai vu, j'y ai fait réflexion ; je l'ai vu et je me suis instruit par cet exemple. Ibid. v. 32.
6) Les prés sont verts, les herbes ont paru et on recueillera le foin des montagnes. Ibid. v. 25.
7) Remarquez avec soin l'état de vos brebis et considérez vos troupeaux. Ch. 27, v. 23.
8) Les agneaux sont pour vous vêtir
et les chevreaux pour le prix du champ. Ibid. v. 26.
Que le lait des chèvres
vous suffise pour votre nourriture, pour ce qui est nécessaire à
votre maison et pour nourrit vos servantes. Ibid. v. 27.
9) Qui trouvera une femme forte ? Elle est bien plus précieuse que les perles qui s'apportent de l'extrémité du monde. Ch. 31, v. 10.
10) Elle se lève lorsqu'il est encore nuit : elle partage la nourriture à sa maison et l'ouvrage à ses servantes. Ibid. v. 15.
11) Elle a ceint ses reins de force : elle a affermi ses bras. Ibid. v. 17.
12) Elle a porté sa main à la quenouille et ses doigts ont pris le fuseau. Ibid. v. 19.
13) Elle est comme le vaisseau d'un marchand et elle fait venir son pain de loin. Ibid. v. 14.
14) Elle ne craindra point pour sa maison le froid, ni la neige ; parce que tous ceux qui la composent ont un double vêtement. Ibid. v. 21.
15) Elle a ouvert sa main à l'indigent ; elle a étendu ses bras vers le pauvre. Ibid. v. 20.
16) Elle a ouvert sa bouche à la sagesse et la loi de la clémence est sur sa langue. Ibid. v. 26.
17) Son mari sera illustre dans l'assemblée
des juges, lorsqu'il sera assis avec les sénateurs de la terre.
Ibid. v. 23.
Ses enfants se sont levés
et ont publié qu'elle était très heureuse. Son mari
s'est levé et il l'a louée. Ibid. v. 28.
18) Donnez-lui du fruit de ses mains ; et que ses œuvres la louent dans l'assemblée des juges. Ibid. v. 31.
19) Les agréments sont trompeurs et la beauté
est vaine. La femme qui craint le Seigneur sera loué. Ibid. v. 30.