Ode Neuvième

Caïx, Novembre 1750

Livre III, Ode IX (Edition de 1784)







Les Derniers jours de l'automne
Ont fini dans nos vallons;
Vertumne emmène Pomone
Des vergers qu'il abandonne
Au souffle des Aquilons.

Voyez ces monts dont le faîte
Par les frimats est blanchi,
Cette source qui s'arrête,
Et ces arbres dont la tête
Sous les glaçons a fléchi.

Le berger laisse au village
Sa musette et son hautbois;
Et des oiseaux de passage
Le cri perçant et sauvage
Retentit au fond des bois.

De ces jours mélancoliques
Bravons la froide pâleur;
Et de ces foyers antiques,
Qu'un tas de faisceaux rustiques
Entretienne la chaleur.

Près de ce feu secourable,
Dans ces fragiles cristaux,
Versons le nectar aimable,
Qui pour égayer ma table
A vieilli dans mes tonneaux.

Contre la rive prochaine
Laissons les eaux se briser,
Les vents ravager la plaine;
Le pouvoir qui les déchaîne
Saura bien les apaiser.

Chaque jour donne ou prépare
Ce qu'exigent nos besoins.
Je plains un coeur qui s'égare
Dans un tourbillon bizarre
De vains désirs et de soins.

A l'Auteur de la nature,
Dans ses lois juste et constant,
Demandons une âme pure,
Le bonheur avec mesure,
Un esprit calme et content.

Mais quand son amour signale
Sa puissance et ses bienfaits,
Qu'une sauvage morale
De sa bonté libérale
N'altère point les effets.

Dans le rapide voyage
Que nous faisons ici-bas,
Pourquoi fuirions-nous l'usage
Du plaisir honnête et sage
Qui suit quelquefois nos pas?

La terre avec abondance
Offre à l'homme ses tributs.
L'équitable Providence
En permet la jouissance
Et n'en défend que l'abus.
 


Last updated 3 July 2003