JEAN-FRANÇOIS DE SAINT-LAMBERT (1716-1803)

Extraits des SAISONS (1769) L'ETE (L'Agriculteur) O toi par qui fleurit l'art le plus nécessaire, Ami de l'innocence, honnête agriculteur, Qu'il est facile et doux de faire ton bonheur! Ah! s'il n'a point à craindre une injuste puissance, Un tyran subalterne, ou l'avide finance, Si la loi le protège, il est heureux sans frais; Auprès de la nature, il sent tous ses bienfaits. Le Iuxe ne vient point lui montrer ses misères. Content de ses plaisirs, de l'état de ses pères Il peut aimer demain ce qu'il aime aujourd'hui Et la paix de son coeur n'est jamais de l'ennui. Vous le rendez heureux, volupté douce et pure, Attachée à l'hymen, aux noeuds de la nature; L'épouse qu'il choisit partage ses travaux, De l'ami de son coeur elle adoucit les maux. Ses enfants sont sa joie, ils seront sa richesse; Il verra leurs enfants appuyer sa vieillesse, Et sur son front ridé, rappelant la gaîté, Prêter encore un charme à sa caducité. Qu'il revient avec joie à son humble chaumière, Dès que l'astre du jour a fini sa carrière! Qu'il trouve de saveur aux mets simples et sains, Qu'une épouse attentive apprête de ses mains! La paix, la complaisance et le doux badinage, Aimables compagnons de son heureux ménage, Entourent avec lui la table du festin. Révillé par l'amour, inspiré par le vin, Versant à ses enfants le doux jus de l'automne, Il chante les plaisirs et le Dieu qui les donne; Sa fille, en souriant répète ses chansons. (L'Orage) Les cris de la corneille ont annoncé l'orage; Le bélier effrayé veut rentrer au hameau: Une sombre fureur anime le taureau Qui respire avec force, et, relevant la tête, Par ses mugissements appelle la tempête. On voit à l'horizon, des deux points opposés, Des nuages monter dans les airs embrasés; On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre. D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre: Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé, Et le long du vallon le feuillage a tremblé. Les monts ont prolongé le lugubre murmure, Dont le son lent et sourd attriste la nature. Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur, La terre en silence attend dans la terreur. Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre; Le nuage élargi les couvre de ses flancs; Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants. Mais des traits enflammés ont sillonné la nue, Et la foudre en grondant roule dans l'étendue: Elle redouble, vole, éclate dans les airs; Leur nuit est plus profonde, et de vastes éclairs En font sortir sans cesse un jour pâle et livide. Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons, Enlève un sable noir, qu'il roule en tourbillons. Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière, Dérobe à la campagne un reste de lumière. La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés Font entrer à grands flots les peuples égarés. Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée Te demander le prix des travaux de l'année. Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés Ecrasent en tombant les épis renversés; Le tonnerre et les vents déchirent les nuages; Le fermier de ses champs contemple les ravages, Et presse dans ses bras ses enfants effrayés. La foudre éclate, tombe, et des monts foudroyés Descendent à grand bruit les graviers et les ondes Qui courent en torrent sur les plaines fécondes. O récolte! ô moisson! tout périt sans retour; L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour. Ah! fuyons ces tableaux; et, loin de ces rivages, Allons chercher des lieux où le cours des orages, Sans y lancer la foudre ou noyer les moissons, A rafraîchi les airs, et baigne les sillons. De l'écharpe d'Iris l'éclatant météore, Déployant dans les cieux les couleurs de l'aurore, Y couronne les champs, où le ruisseau vermeil Voit jouer dans ses flots les rayons du soleil. Un reste de nuage, errant sur les campagnes, Va s'y perdre en fumée au sommet des montagnes; Un vent frais et léger y parcourt les guérets, Et roule en vagues d'or les moissons de Cérès. On y sent ce parfum, cette odeur végétale, Que la terre échauffée après l'orage exhale. Le berger au berger répète ses chansons, L'heureux agriculteur, si près de ses moissons, Se rappelle ses soins, ses travaux, sa prudence, Admire ses guérets, sourit à l'abondance. Il est content de lui, ne se repent de rien, Et se dit, comme un Dieu: "Ce que j'ai fait est bien!" L'AUTOMNE (Début) O vous qu'ont enrichis les trésors de Cérès, Préparez-vous, mortels, à de nouveaux bienfaits. Redoublez vos présents, terre heureuse et féconde; Récompensez encor la main qui vous seconde. Et toi, riant Automne, accorde à nos désirs Ce qu'on attend de toi, du repos, des plaisirs, Une douce chaleur, et des jours sans orages. Il vient environné de paisibles nuages, Il voit du haut du ciel le pourpre des raisins, Et l'ambre et l'incarnat des fruits de nos jardins. De coteaux en coteaux la vendange annoncée Rappelle le tumulte et la joie insensée; J'entends de loin les cris du peuple fortuné Qui court, le thyrse en main, de pampres couronné. Favoris de Bacchus, ministres de Pomone, Célébrez avec moi les charmes de l'automne: L'année à son déclin recouvre sa beauté. L'automne a des couleurs qui manquaient à l'été. Dans ces champs variés, l'or, le pourpre et l'opale, Sur un fond vert encor brillent par intervalle, Et couvrent la forêt, qui borde ces vallons, D'un vaste amphithéâtre étendu sur les monts. L'arbre de Cérasonte au gazon des prairies Oppose l'incarnat de ses branches flétries. Quelles riches couleurs, quels fruits délicieux Ces champs et ces vergers présentent à vos yeux! Voyez par les zéphyrs la pomme balancée Echapper mollement à la branche affaissée, Le poirier en buisson, courbé sous son trésor, Sur le gazon jauni rouler les globes d'or, Et de ces lambris verts attachés au treillage La pêche succulente entraîner le branchage. Les voilà donc, ces fruits qu'ont annoncés les fleurs Et que l'été brûlant mûrit par ses chaleurs! Jouissez, ô mortels, et, par des cris de joie, Rendez grâces au ciel des biens qu'il vous envoie; Que la danse et les chants, les jeux et les amours, Signalent à la fois les derniers des beaux jours. (La Chasse au cerf) Entendez-vous quel bruit retentit dans les airs, Et, d'échos en échos, roule dans ces déserts? La Discorde, Bellone ou le dieu de la guerre, Par ce bruit effrayant menacent-ils la terre? De la vaste forêt l'espace en est rempli. Dans ses sombres buissons le cerf a tressailli; Au monarque des bois la guerre est déclarée. Il a vu d'ennemis sa demeure entourée, Et des chiens dévorants en groupe dispersés, De distance en distance autour de lui placés. Là, le coursier fougueux levant sa tête altière, Bondissant sous son maître et frappant la bruyère, De la course tardive appelle les instants. Mais on part, il s'élance, et des sons éclatants, Sur les traces du cerf dont la terre est empreinte, Ont conduit le chasseur au centre de l'enceinte. Le timide animal s'épouvante et s'enfuit, Et voit dans chaque objet la mort qui le poursuit, Sa route sur le sable est à peine tracée; Il devance, en courant, la vue et la pensée; L'oeil le suit et le cherche aux lieux qu'il a quittés. Ses cruels ennemis, par le cor excités, S'élèvent sur ses pas au sommet des montagnes, Ou fondent à grands cris sur les vastes campagnes. Effrayé des clameurs et des longs hurlements Sans cesse à son oreille apportés par les vents, Vers ces vents importuns il dirige sa fuite: Mais la troupe implacable, ardente à sa poursuite, En saisit mieux alors ses esprits vagabonds. Il écoute et s'élance, et s'élève par bonds; Il voudrait ou confondre, ou dérober sa trace, Se détacher du sable, et voler dans l'espace. Mais que lui serviront ses feintes, ses retours? Les gazons, les taillis révèlent ses détours. Il revoit ces grands bois, théâtre de sa gloire, Où jadis cent rivaux lui cédaient la victoire, Où couvert de leur sang, consumé de désirs, Pour prix de son courage il obtint les plaisirs. S'il force un jeune cerf à courir dans la plaine, Pour présenter sa trace à la meute incertaine, Le chasseur qui la guide en préviendra l'erreur; Que fera-t-il? tremblant, morne, saisi d'horreur, Son armure l'accable et sa tête est penchée; Sous son palais brûlant, sa langue est desséchée; Il s'arrête, il entend des cris plus menaçants, Et fait pour fuir encor des efforts impuissants; Ses yeux appesantis laissent tomber des larmes. A la troupe en fureur il oppose ses armes: Mais ce vain désespoir ne lui sert qu'un instant; ll tombe, il se relève, et meurt en combattant.

POETS

Last Updated: Monday, August 19, 1996