JEAN-JACQUES LE FRANC DE POMPIGNAN (1789-1784) ODE IV Tirée des Psaumes XIII et XV: Dixit insipiens in corde suo, non est Deus. (1751)
L'auteur, dans ces deux Psaumes qui sont à peu près semblables, se plaint que le monde est rempli de scélérats, d'hommes qui méprisent Dieu. Il y peint les moeurs et le luxe des riches, l'avarice et la dureté, compagnes de l'opulence. Il annonce aux oppresseurs du peuple les effets de la vengeance divine; à l'innocent opprimé la fin de ses souffrances et de ses douleurs. Quelques versets du treizième semblent faire allusion à la captivité de Babylone, et le texte hébreu d'un verset du cinquante-deuxième, peut désigner Antiochus l'illustre qui détruisit Jérusalem, et fit tant de maux aux Juifs. Dieu dispersera les os de celui qui campe contre toi.
L'Impie a dit: brisons ces temples, Non, je ne connais point de Dieu. Il le dit, et porte en tout lieu Ses pas impurs et ses exemples. Le Seigneur s'en émeut, et du plus haut des cieux Sur les enfants de l'homme il arrête ses yeux. Il cherche un juste sur la terre, Il cherche et ne le trouve pas. Par le plus noir des attentats L'homme à son Dieu livre la guerre, Et de l'iniquité les ministres sanglants Exécutent partout ses ordres insolents. De la substance de leurs frères Leurs biens criminels sont grossis; Par le luxe même endurcis, Ils sont riches de nos misères: Monstres voluptueux dont la soif et la faim Dévorent sans pitié la veuve et l'orphelin. De leur avidité farouche Grand Dieu, tu vois l'indigne excès; Au milieu de ces vils succès, Ton nom ne sort point de leur bouche. Mais le leur est proscrit: les moments sont comptés; Et tu maudis le cours de leurs prospérités. Le faux calme dont ils jouissent Est toujours prêt à se troubler; Un éclair seul les fait trembler, Ils blasphèment, mais ils frémissent. Tu suis partout l'impie, et malgré sa fureur Par la voix des remords tu renais dans son coeur. Tes ennemis sont dans l'ivresse, Tu dis un mot, ils ne sont plus. Mais le bonheur de tes élus Comme toi durera sans cesse. Le pécheur à la fin tombera sous tes coups; Le temps est fait pour lui, l'éternité pour nous. Tout nous annonce ta victoire; Objet de ton fidèle amour, Sion verra luire le jour De ta puissance et de ta gloire. Jacob sorti des fers, Jacob tranquille, heureux, T'offrira, plein de joie, et ses dons et ses voeux.
ODE XI Tirée du Psaume CIII: Benefic, anima mea, Domino; Domine Deus meus, magnificat es vehementer. (1751)
Les Interprètes Grecs ont intitulé ce cantique, Psaume de David sur la création du monde. C'est une description sublime et poétique des différentes parties qui composent l'univers. L'écrivain sacré peint ici le pouvoir, la providence, l'économie et la bonté de Dieu qui éclatent également dans toutes les oeuvres de la création. On y voit l'origine et la destination de l'homme, des animaux, des astres, des éléments. Ainsi cette ode pourrait être intitulée, la création du monde.
Inspire-moi de saints cantiques, Mon âme, bénis le Seigneur. Quels concerts assez magnifiques, Quels hymnes lui rendront honneur! L'éclat pompeux de ses ouvrages, Depuis la naissance des âges, Fait l'étonnement des mortels. Les feux célestes le couronnent, Et les flammes qui l'environnent, Sont ses vêtements éternels. Ainsi qu'un pavillon tissu d'or et de soie, Le vaste azur des cieux sous sa main se déploie: Il peuple leurs déserts d'astres étincelants. Les eaux autour de lui demeurent suspendues; Il foule aux pieds les nues, Et marche sur les vents. Fait-il entendre sa parole, Les cieux croulent, la mer gémit, La foudre part, l'aquilon vole, La terre en silence frémit. Du seuil des portes éternelles, Des légions d'esprits fidèles A sa voix s'élancent dans l'air. Un zèle dévorant les guide, Et leur essor est plus rapide Que le feu brûlant de l'éclair. Il remplit du chaos les abîmes funèbres; Il affermit la terre et chassa les ténèbres; Les eaux couvraient au loin les rochers et les monts: Mais au bruit de sa voix les ondes se troublèrent, Et soudain s'écoulèrent Dans leurs gouffres profonds. Les bornes qu'il leur a prescrites Sauront toujours les resserrer; Son doigt a tracé les limites Où leur fureur doit expirer. La mer dans l'excès de sa rage, Se roule en vain sur le rivage Qu'elle épouvante de son bruit; Un grain de sable la divise, L'onde écume, le flot se brise, Reconnaît son maître et s'enfuit. La terre ici s'élève en de hautes montagnes, Ailleurs elle s'abaisse en de vastes campagnes: Les vallons émaillés sont remplis de ruisseaux; Et des fleuves divers l'onde fraîche et bruyante Eteint la soif ardente Des plus nombreux troupeaux. Sur le rocher le plus sauvage, Dans les forêts, dans les déserts, Le cri des oiseaux, leur ramage Bénit le Dieu de l'univers. Sur les montagnes solitaires Il répand les eaux salutaires Des torrents cachés dans les cieux, Et dans les plaines arrosées, Il fait par d'utiles rosées Germer des fruits délicieux. Les troupeaux dans les prés vont chercher leur pâture. L'homme dans les sillons cueille sa nourriture, L'olivier l'enrichit des flots de sa liqueur; Le pampre coloré fait couler sur sa table Ce nectar délectable, Charme et soutien du coeur. Le Souverain de la nature A prévenu tous nos besoins, Et la plus faible créature Est l'objet de ses tendres soins. Il verse également la sève Et dans le chêne que s'élève, Et dans les humbles arbrisseaux. Du cèdre voisin de la nue La cime orgueilleuse et touffue Sert de base au nid des oiseaux. Le daim léger, le cerf, et le chevreuil agile S'ouvrent sur les rochers une route facile. Pour eux seuls de ces bois Dieu forma l'épaisseur; Et les trous tortueux de ce gravier aride, Pour l'animal timide Qui nourrit le chasseur. Le globe éclatant qui dans l'ombre Roule au sein des cieux étoilés, Brilla pour nous marquer le nombre Des ans, des mois renouvelés. L'astre du jour dès sa naissance, Se plaça dans le cercle immense Que Dieu lui-même avait décrit; Fidèle aux lois de sa carrière, Il retire et rend la lumière Dans l'ordre qui lui fut prescrit. La nuit vient à son tour, c'est le temps du silence. De ses antres fangeux la bête alors s'élance, Et de ses cris aigus étonne le pasteur. Par leurs rugissements les lionceaux demandent L'aliment qu'ils attendent Des mains du créateur. Mais quand l'aurore renaissante Peint les airs de ses premiers feux, Ils s'enfoncent pleins d'épouvante Dans leurs repaires ténébreux. Effroi de l'animal sauvage, Du Dieu vivant brillante image, L'homme paraît quand le jour luit; Sous ses lois la terre est captive; Il y commande, il la cultive Jusqu'au règne obscur de la nuit. Seigneur, Etre parfait, que tes oeuvres sont belles! Tu fais servir l'accord qui les unit entre elles, Au bien de l'univers, au bonheur des humains. Partout je vois empreint le sceau de ta sagesse, Et tu répands sans cesse Tes dons à pleines mains. Tu fis ces gouffres effroyables, Noir empire des vastes mers; Leurs abîmes impénétrables Sont peuplés d'animaux divers. Ton souffle assembla les orages, Les aquilons dont les ravages Font régner la mort sur les eaux; Et tu dis: Ces mers déchaînées Verront leurs ondes étonnées Porter d'innombrables vaisseaux. Là des monstres marins, dans leur course pesante, Ouvrent des flots émus la surface écumante; Ils semblent se jouer des vagues en courroux. Quand de l'horrible faim les tourments les dévorent, C'est toi seul qu'ils implorent; Et tu les nourris tous. Privés de tes regards célestes Tous les êtres tombent détruits, Et vont mêler leurs tristes restes Au limon qui les a produits. Mais par des semences de vie, Que ton souffle seul multiplie, Tu répares les coups du temps; Et la terre toujours peuplée, De sa fange renouvelée Voit renaître ses habitants. Dieu des jours, Dieu des temps, triomphe d'âge en âge; Jouis de ta grandeur, jouis de ton ouvrage; Tu regardes la terre, elle tremble d'effroi: Tu frappes la montagne, et sa cime enflammée, Dans des flots de fumée S'abîme devant toi. Que le jour commence à paraître, Ou qu'il s'éteigne dans les mers, Mon créateur, mon divin maître Sera l'objet de mes concerts. Trop heureux si dans sa clémence Il écoute avec complaisance Les chants que je forme pour lui. Fidèle à marcher dans sa voie, En lui seul je mettrai ma joie, Mon espérance et mon appui. Trop longtemps les pécheurs ont lassé sa justice; Que l'enfer les dévore, et que leur nom périsse; Que Dieu verse la paix dans le fond de mon coeur: Qu'il pénètre mes sens, que son zèle m'enflamme, Et qu'à jamais mon âme Bénisse le Seigneur.
ODE XVI Tirée du Psaume CXXIX: De profundis clamavi ad te, Domine. (1763)
C'est encore un des Psaumes graduels, et la sixième des pénitentiaux. L'Eglise en a fait de plus un hymne funèbre, et c'est par excellence la prière pour les morts. Je l'ai traduit sur l'hébreu, dont le sens diffère absolument de celui de la vulgate en deux ou trois versets. Rien de plus tendre ni de plus consolant que ce petit poème. Il est plein de répétitions touchantes, et respire une certaine langueur qui donne au sentiment les grâces naturelles et l'air négligé qu'il doit avoir.
Je t'adresse ma voix plaintive, Seigneur, de l'abîme où je suis. Que deviendrai-je si tu fuis Mon âme en ses liens captive? Entends les regrets de mon coeur, Et prête une oreille attentive A la prière d'un pécheur. Ah! grand Dieu, si dans ta vengeance Tu comptais nos iniquités, Comment fuir tes yeux irrités! Comment soutenir ta présence! Mais ta bonté suspend tes coups, Et tu me montres ta clémence Pour que je craigne ton courroux. J'attends le Seigneur, je l'implore Par mes larmes et par mes voeux. Mon âme attend l'effet heureux De ses promesses qu'elle adore; Et les gardes de nos remparts Soupirent moins après l'aurore Qu'ils appellent par leurs regards. Dans le juste effroi qui vous glace, Mortels, espérez au Seigneur: Espérez tout de sa douceur, Sa pitié jamais ne se lasse. Qu'Israël soit toujours soumis, Israël obtiendra sa grâce, Et ses péchés seront remis.
Last Updated: 12 May 1998