ANDRE CHENIER (1762-1794)

La Jeune Tarentine Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez! Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine! Un vaisseau la portait aux bords de Camarine: Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a, pour cette journée, Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée, Et l'or dont au festin ses bras seront parés, Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflaient dans les voiles L'enveloppe: étonnée et loin des matelots, Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine! Son beau corps a roulé sous la vague marine. Téthys, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher, Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par son ordre bientôt les belles Néréides S'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont au cap du Zéphir déposé mollement; Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent, hélas! autour de son cercueil: «Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée, Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée, L'or autour de ton bras n'a point serré de noeuds, Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux.»

La Jeune Locrienne «Fuis, ne me livre point. Pars avant son retour; Lève-toi, pars, adieu; qu'il n'entre, et que ta vue Ne cause un grand malheur, et je serai perdue. Tiens, regarde, adieu, pars, ne vois-tu pas le jour?»

Nous aimions sa naïve et riante folie; Quand soudain, se levant, un sage d'Italie, Maigre, pâle, pensif, qui n'avait point parlé, Pieds nus, la barbe noire, un sectateur zélé Du muet de Samos qu'admire Métaponte, Dit: «Locriens perdus, n'avez-vous pas de honte? Des moeurs saintes jadis furent votre trésor. Vos vierges d'aujourd'hui, riches de pourpre et d'or, Ouvrent leur jeune bouche à des chants adultères. Hélas! qu'avez-vous fait des maximes austères De ce berger sacré que Minerve autrefois Daignait former en songe à vous donner des lois?» Disant ces mots, il part. Elle était interdite, Son oeil noir s'est mouillé d'une larme subite; Nous l'avons consolée, et ses ris ingénus, Ses chansons, sa gaieté, sont bientôt revenus. Un jeune Thurien aussi beau qu'elle est belle (Son nom m'est inconnu) sortit presqu'avec elle: Je crois qu'il la suivit et lui fit oublier Le grave Pythagore et son grave écolier.

La Jeune Captive

(Ce poème fut écrit dans la prison de Saint-Lazare, peu avant l'exécution
de Chénier, sous la Terreur, en 1794.) «L'épi naissant mûrit de la faux respecté; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été Boit les doux présents de l'aurore; Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux pas mourir encore. Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort, Moi je pleure et j'espère; au noir souffle du nord Je plie et relève ma tête. S'il est des jours amers, il en est de si doux! Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts? Quelle mer n'a pas de tempête? L'illusion féconde habite dans mon sein. D'une prison sur moi les murs pèsent en vain, J'ai les ailes de l'espérance: Echappée aux réseaux de l'oiseleur cruel, Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel Philomèle chante et s'élance. Est-ce à moi de mourir? Tranquille je m'endors, Et tranquille je veille, et ma veille aux remords Ni mon sommeil ne sont en proie. Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux; Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux Ranime presque de la joie. Mon beau voyage encore est si loin de sa fin! Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin J'ai passé les premiers à peine. Au banquet de la vie à peine commencé, Un instant seulement mes lèvres ont pressé La coupe en mes mains encore pleine. Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson; Et comme le soleil, de saison en saison, Je veux achever mon année. Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin, Je n'ai vu luire encor que les feux du matin. Je veux achever ma journée. O mort! Tu peux attendre; éloigne, éloigne-toi; Va consoler les coeurs que la honte, l'effroi, Le pâle désespoir dévore. Pour moi Palès encore a des asiles verts, Les Amours des baisers, les Muses des concerts; Je ne veux pas mourir encore.» Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix, Ces voeux d'une jeune captive; Et secouant le joug de mes jours languissants, Aux douces lois des vers je pliais les accents De sa bouche aimable et naïve. Ces chants, de ma prison témoins harmonieux, Feront à quelque amant des loisirs studieux Chercher quelle fut cette belle: La grâce décorait son front et ses discours, Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours Ceux qui les passeront près d'elle.


POETS